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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Per. 19.1898

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Nr. 5
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Rod, Édouard: L' atelie de M. Rodin
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https://doi.org/10.11588/diglit.24683#0442

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GAZETTE UES BEAUX-ARTS

temps autour de soi pour comprendre qu’on est chez un travail-
leur, hanté par sa pensée, à peu près indifférent au monde extérieur,
qui n’a nul besoin des excitations du dehors, auquel suffisent sa
glaise et son ébauchoir. L’air est comme imprégné de travail, du
travail de toute une vie, d’un travail acharné, impitoyable, d’un tra-
vail qui n’a reculé devant aucun effort et ne s’est jamais bercé dans
le repos de l’achèvement. Je ne sais rien de plus sain, rien de meil-
leur à l’âme que cet air-là : car, si nous ne sommes surs de rien,
nous avons du moins éprouvé la beauté de la loi du travail. Quel
qu’il soit, humble ou splendide, qu'il se manifeste en œuvres admi-
rées ou en œuvres utiles, qu’il jaillisse de la pensée ou de l’effort
des muscles tendus ou de l’adresse des doigts agiles, le travail est la
vraie joie de la vie, la seule qui ne recèle nulle déception, nulle per-
fidie et qui n’ait que de bons lendemains. C’est pourquoi l'on éprouve
je ne sais quel bien-être à s’en trouver comme enveloppé, à le respirer,
comme s’il était un air salubre, à le voir à côté de soi comme un ami.

Et l’artiste apparaît dans son cadre, enveloppé dans une sorte de
houppelande brune, qu’étoilent des taches de plâtre.

On connaît la figure, si caractéristique, de M. Rodin. Avec ses
traits vigoureux, la sérénité de son regard clair, sa longue barbe de
patriarche, la carrure vigoureuse de ses épaules, il fait penser —
n’ayant point les allures d’aujourd'hui — aux maîtres des premiers
temps de la Renaissance, à ces créateurs puissants que poussait un
instinct plus riche et plus sûr que le talent. Une de ses élèves.
MUe Camille Claudel, a magnifiquement interprété sa tète expressive
et vigoureuse. Elle en a fait ressortir les deux traits saillants, qui
frappent d’emblée, la force et la douceur. Surtout elle a marqué ce
qu’il y a en lui d’instinctif, elle l’a traité à la façon de ces sculpteurs
antiques qui parvenaient à représenter, sous des noms de dieux, les
forces de la nature ; elle a saisi et rendu la secrète harmonie qu’il y
a entre son âme invisible qui rêve et les pierres que ses mains pé-
trissent. J’ai rarement vu de «portrait» qui, mieux que ce marbre
révélateur, explique, commente, complète une physionomie. C’est
bien M. Rodin, mais c’est, plus encore, le sculpteur; c’est aussi le
créateur, celui dont la pensée conçoit et dont les mains font la vie ;
et c’est encore une force, immatérielle et puissante, que la magie de
l’art manifeste à nos yeux.

L’œuvre de M. Rodin, qui est très considérable, est aujourd’hui
disséminée; je ne parlerai, dans ces notes, que de ce que j’ai vu dans
son atelier.
 
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