Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (3. Per. 19.1898)

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

■son père. Si M. G rayer se refuse à découvrir l’influence des maîtres vénitiens dans
Numa Pompilüis et La Nymphe Égerie, où éclate, tout au contraire, la sincérité des
« éblouissements d'admiration que lui donnait la campagne latine », il marque,
dans L’Annonciation, celle des Bolonais de la décadence.

A la même époque se rattache La Sainte Famille. D’un héroïsme en certaines
parties trop tendu, toute baignée d'une lumière argentine, elle paraît, en d’autres,
«d’une grandeur morale qui est presque à elle seule une religion » : formule heu-
reuse et qui définit la qualité nouvelle dont, à la suite de la pensée humaine, la
peinture française resplendit enfin. Outre une Lcda et deux paysages sévères et
doux, Chantilly possède encore du maître Le Massacre des Innocents. «Jamais il n’a
été plus ferme dans son dessin, plus pathétique dans son expression. Dans ce
groupe, d'allure sculpturale, le nu domine, ou plutôt il n’y a que du nu; les quel-
ques draperies qui s’y mêlent ne servent qu’à en exalter la valeur et à donner
aux mouvements plus de caractère. Jamais Nicolas Poussin n’a mieux donné
sa mesure que dans ce tableau ». DTn rude portrait de Richelieu, Mazarin dans sa
vérité vulgaire, la mère Angélique, montrent Philippe de Champaigne portraitiste.
L’aventure des Beauhrun propose la question de la collaboration dans les œuvres
d’art, mais sans guère nous y éclairer, car, malgré la vogue inouïe des deux frères,
nous ne connaissons d'eux que les deux portraits que le musée de Versailles leur
attribue et, à Chantilly, le portiait de Mmc de Longueville et de sa belle-fille.

ce Bien molle» image que la première, « presque banale ». Il fautnous résigner à
la perte du portrait que fit d’elle Juste d’Egmont ; celui que documenta si lourde-
ment Cousin n’y saurait suppléer. Le ciel, après avoir marqué sonvisagede petite
vérole et lui avoir suscité des adorateurs en Sorbonne, aura fait éternellement ex-
pier à la duchesse sa belle langueur blonde. D’autres élégances pompeuses, grâce
à Mignard, répandent encore ici leur parfum de cour. Les portraits qu’il fit du roi
ne pouvaient manquer d’être flatteurs. Ceux de Mazarin, d'Henriette d’Angleterre,
du duc d’Orléans, de la princesse Palatine,’ de la comtessse de la Suze, entourée
d’une sarabande d’amours qui lui font fête pour avoir dit : « Tout le devoir ne
vaut pas une faute qui se commet par tendresse », ne le sont pas moins. Peut-
être ne peut-on lui attribuer sans hésiter ceux de la comtesse de Feuquièrcs,
sa fille, de Mm° Dcshoulières parmi des moutons, et de l’inconnue où il faut
renoncer à reconnaître Ninon? Mais il paraît difficile de contester qu’il soit le
peintre du célèbre Molière dont l’ardente franchise inspira le buste de Boudon,
et qui, par sa couleur moelleuse et souple, ses enveloppements d’ombre et de
clair-obscur, selon M. Gruycr, s’oppose si heureusement à la pâte solide, à l’émail
lisse, à l’éclat, à la crudité et à la psychologie sommaire du portrait officiel que
possède la Comédie-Française. Vanloo, Lebrun, Marc Nattier, Largillière, qui
s’égaille à la joie épanouie des chairs et des brocards, Rigaud, que rappellent des
copies et des répétitions, sont représentés à Chantilly. Puis voici les batailles de
Sauveur le Conte, trop bon élève de van der Meulen, «onze grandes toiles ou pan-
neaux formant soixante sujets des conquêtes de Louis XIV », comme les inventorie
en 1793, la commission des Monuments, qui les transporte au Louvre. Le grand
Condé y a voulu perpétuer la mémoire de ses triomphes, lui qui, dans le tableau
de Michel II Corneille, posa pour l’allégorie d'un Repentir si orgueilleux qu’on
ne sait si c’est de sa faute commémorée ou de l’aveu qu’il en ose que le héros
est plus glorieux.