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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Déjà Lefebvre, un précurseur par « l’énergie de l’accent de nature », sa sin-
cérité d’interprétation, son absence d’apparat, Largillière, par «l’indiscipline des
chairs assouplies, lumineuses » d’un de ses portraits, annoncent l’école prochaine.
Louis-Henry de Bourbon en exil, pare Chantilly. De Troy, Grimoux, les Huet,
Oudry, Lancret, Subleyras, Carie Vanloo, Drouais, Fragonard, Mm0Yigée-Lebrun,
y répandent la grâce énamourée du siècle que Mezzetin énerve aux caresses
aigres de son violon. Puis tant de mélancolie ! les féeries pastorales du triste
Watteau, les demi-candeurs d’un vieillard, Greuze. Déjà le pauvre Nattier fabrique
ses déesses; Duplessis nous menace du scepticisme du comte de Provence, et
Danloux, dans la molle physionomie du comte d’Artois, laisse deviner le « vieux
beau, un peu bête » que sera, selon le mot de Jules Simon, Charles X. « Quelque
chose de l’âme d’un monde qui finit et quelque chose aussi de l'âme d’un monde
qui commence » s’éternisent dans la tendresse humaine de Prud'hon.
M. Gruyer s’attarde moins à la description des tableaux contemporains du
Musée Condé et à la biographie de leurs auteurs qu’il n’a fait pour ceux des
siècles précédents. L’intérêt historique, en effet, nous en échappe encore, et la
critique n’y saurait être aussi assurée. Mainte œuvre y semble trop récente et
trop lointaine tout ensemble. Si Carie et Horace Yernet, Boilly, le baron Gérard,
le baron Gros, Léopold Robert, Ary Scheffer, Corot, Delarocbe, Decamps, compa-
raissent maintenant à peu près devant « la postérité », peut-on oublier de quelles
luttes les noms d'Ingres et de Delacroix, si glorieusement triomphants à Chan-
tilly, étaient naguère encore l’occasion ? On s’étonne à rencontrer une « école de
Winterhalter »; Michallon (Achille-Etna) est un aïeul perdu. Mais qui parle encore
de Lami, de Gudet, de Dauzats, de Jadin, de Goyet, de Leleux, de Fontaine, ses
cadets ? De Diaz, Marilhat, Dupré, Rousseau, Français, Daubigny, Fromentin,
Meissonier, Hébert, Benouville, Ziem, Rosa Bonheur, Gérôme, Protais, Baudry,
Desgoffe, de Penne, de Neuville, L.-O. Merson, Détaillé, qui sera maître, petit maî-
tre, bon élève? Et sur qui l'oubli prolongera-'-il son ombre ? Le critique, comme les
sorcières de Macbeth, ne prédit que des royautés éphémères. Qu’il regarde loin
derrière lui, dans les âges révolus, une jeunesse féconde apparaît, tandis qu’au-
tour de lui flotte un parfum de mort..... Devant le portrait que fit du duc d’Au-
male M. Léon Bonnat, M. Gruyer adresse un dernier hommage à celui qui « rem-
plissait si bien à lui seul ce château qu’il avait réédifié, comme un des grands
sanctuaires de la gloire française ».
JULES RAIS
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
Déjà Lefebvre, un précurseur par « l’énergie de l’accent de nature », sa sin-
cérité d’interprétation, son absence d’apparat, Largillière, par «l’indiscipline des
chairs assouplies, lumineuses » d’un de ses portraits, annoncent l’école prochaine.
Louis-Henry de Bourbon en exil, pare Chantilly. De Troy, Grimoux, les Huet,
Oudry, Lancret, Subleyras, Carie Vanloo, Drouais, Fragonard, Mm0Yigée-Lebrun,
y répandent la grâce énamourée du siècle que Mezzetin énerve aux caresses
aigres de son violon. Puis tant de mélancolie ! les féeries pastorales du triste
Watteau, les demi-candeurs d’un vieillard, Greuze. Déjà le pauvre Nattier fabrique
ses déesses; Duplessis nous menace du scepticisme du comte de Provence, et
Danloux, dans la molle physionomie du comte d’Artois, laisse deviner le « vieux
beau, un peu bête » que sera, selon le mot de Jules Simon, Charles X. « Quelque
chose de l’âme d’un monde qui finit et quelque chose aussi de l'âme d’un monde
qui commence » s’éternisent dans la tendresse humaine de Prud'hon.
M. Gruyer s’attarde moins à la description des tableaux contemporains du
Musée Condé et à la biographie de leurs auteurs qu’il n’a fait pour ceux des
siècles précédents. L’intérêt historique, en effet, nous en échappe encore, et la
critique n’y saurait être aussi assurée. Mainte œuvre y semble trop récente et
trop lointaine tout ensemble. Si Carie et Horace Yernet, Boilly, le baron Gérard,
le baron Gros, Léopold Robert, Ary Scheffer, Corot, Delarocbe, Decamps, compa-
raissent maintenant à peu près devant « la postérité », peut-on oublier de quelles
luttes les noms d'Ingres et de Delacroix, si glorieusement triomphants à Chan-
tilly, étaient naguère encore l’occasion ? On s’étonne à rencontrer une « école de
Winterhalter »; Michallon (Achille-Etna) est un aïeul perdu. Mais qui parle encore
de Lami, de Gudet, de Dauzats, de Jadin, de Goyet, de Leleux, de Fontaine, ses
cadets ? De Diaz, Marilhat, Dupré, Rousseau, Français, Daubigny, Fromentin,
Meissonier, Hébert, Benouville, Ziem, Rosa Bonheur, Gérôme, Protais, Baudry,
Desgoffe, de Penne, de Neuville, L.-O. Merson, Détaillé, qui sera maître, petit maî-
tre, bon élève? Et sur qui l'oubli prolongera-'-il son ombre ? Le critique, comme les
sorcières de Macbeth, ne prédit que des royautés éphémères. Qu’il regarde loin
derrière lui, dans les âges révolus, une jeunesse féconde apparaît, tandis qu’au-
tour de lui flotte un parfum de mort..... Devant le portrait que fit du duc d’Au-
male M. Léon Bonnat, M. Gruyer adresse un dernier hommage à celui qui « rem-
plissait si bien à lui seul ce château qu’il avait réédifié, comme un des grands
sanctuaires de la gloire française ».
JULES RAIS