Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (3. Per. 19.1898)

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS

Jeanne d’Arc de Nancy en 1889, Velâzquez en 1890. En même temps,
de pins en pins il s’intéresse à l’homme et s’attache à lui, tantôt le
représentant aux époques lointaines cherchées par la science, dans
Y Homme de F âge de pierre, le Dénicheur d'oursons, la Femme enlevée
par un gorille, le Tueur d’ours; tantôt le représentant aux âges plus
récents de l’histoire, dans le Saint Grégoire de Tours, le Saint Michel
apparu en chevalier du xive siècle, la Jeanne cl'Arc et genoux ; venant
enfin à notre époque elle-même avec le monument de Raffet et la
statue de Meissonier. C’est dans toutes ces œuvres que M. Frémiet se
présente à nous comme un artiste de notre temps, à la fois pénétré de
la vie qui nous agite et apportant à la formation de ce temps que nous
vivons l’élément de sa personnalité. Ses premiers ouvrages, qui ont
en eux-mêmes une valeur d’art très importante, ne sont, intellectuel-
lement, qu’une préparation ; ils indiquent la route où il va s’engager
et oCi de plus en plus s’affirmera son intelligence moderne. Sans
doute l’apparence de modernité de M. Frémiet n’éclate point aux
yeux, comme celle par exemple de M. Falguière, parce que son œuvre
est constamment étrangère à la suggestion des sens et que le plus
souvent nous jugeons d’abord avec nos sens : il n’en demeure pas
moins un artiste moderne et par la nature et par le caractère de son
intelligence.

Tout homme bien doué, par l’évolution régulière des générations
et par le travail ininterrompu de l’hérédité, vient à la vie avec une
nature disposée à la compréhension du temps où son être va se déve-
lopper comme à la compréhension du milieu local où il est né. Puis,
plus tard; arrivé à la plénitude de sa force et de sa conscience, par
ses goûts et par sa volonté, il se donne à son époque ou il se refuse
à elle : M. Frémiet, qui avait compris l'époque du second Empire, ne
devait trouver sa satisfaction intellectuelle que dans la nôtre. One l’on
considère sa Jeanne d’Arc de la place des Pyramides : la Libératrice
sainte à cheval, toute droite, — montrée à la foule à une heure de
consternation, et dont l’image est plus patriotique que des agitations
et des cris, parce qu’elle est la Foi sans laquelle il n’y a pas d’action,
— a un calme dans sa confiance et un sérieux dans sa volonté qui
sont si indécis, qu’ils semblent des traits de notre époque réflé-
chissante oii, malgré les désarrois de chaque jour, l’âme de la nation
se ressaisit. Que l’on considère encore son Velâzquez : comme le
mouvement en est sobre et souple, et comme il représente bien à
notre intelligence l’élégance ondulante et réservée des êtres vrai-
ment élégants qui vivent parmi nous !