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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
inférieur et en remplaçant adroitement quelques pierres détachées.
Cette échauguette, ruinée, branlante, prête à tomber, raconte pins
poétiquement que n’importe quelle partie restaurée l’histoire du
palais , et le feuillage agreste, qui ne demande qu’à envahir les
brèches, sera bientôt comme un signe d’apaisement et de douceur
s’étendant enfin sur l’inexpugnable forteresse de l’orgueil et de la
domination.
Il y a deux ans., quelques jours après la séance qu’y tinrent les
membres du congrès d’archéologie, j’ai parcouru le castel en détail,
n’omettant ni les souterrains, ni les in-pace, me promenant tantôt
sur les chemins de ronde, tantôt sur la terrasse de la bastille d’entrée
et terminant ma visite par l’ascension encore assez périlleuse du don-
jon. Tous les Flamands héroïques, maîtres du château ou prisonniers
dans ses murailles, depuis Baudouin Bras de Fer jusqu’à Jacques
van Artevelde, surgissaient devant moi, vivants, dans ce cadre
austère si bien approprié à leurs rudes physionomies. Du haut de la
tour centrale je vis s’étaler à mes pieds la cité entière, ce Gand ter-
rible et frondeur que Charles-Quint aimait et châtiait avec un égal
emportement. Et l’histoire de la ville, confondue avec celle de l’al-
tière forteresse, déroula soudainement dans mon esprit ses épisodes
les plus glorieux.
L’emplacement exceptionnel de Gand, au confluent d'une grande
rivière et d’un fleuve, la Lys et l’Escaut, explique suffisamment
l’importance considérable que la ville prit au moyen âge et la puis-
sance que devait acquérir forcément une population aussi bien
abritée de toutes parts. Il semble prouvé aujourd’hui que Gand est
issu d’un humble village de pêcheurs, établi des deux côtés de la
Lys, à l’endroit où la rivière, en s’arrondissant, détermine une sorte
de péninsule avant de se jeter dans l’Escaut. A l’époque où fut com-
mencée la construction du ’s Gravensteen, le territoire de Gand pou-
vait se diviser, comme aujourd’hui, en quatre parties distinctes: le
Vieux-Bourg, sis à droite de la Lys; la cité proprement dite, appelée
aussi la Cuve de Gand parce qu’elle s’étendait sur la presqu’île na-
turelle comprise entre les deux rivières; et les deux abbayes de
Saint-Bavon et de Saint-Pierre, l’une à l’ouest, l’autre au sud, fondées
toutes les deux au vu® siècle par saint Amand, le convertisseur de la
Llandre. De ces quatre vici, le plus ancien serait le Vieux-Bourg,
que les documents du moyen âge appellent Velus castruni ou Velus
Burgus, en flamand le Oudburght, en français roman le Viesbourch.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
inférieur et en remplaçant adroitement quelques pierres détachées.
Cette échauguette, ruinée, branlante, prête à tomber, raconte pins
poétiquement que n’importe quelle partie restaurée l’histoire du
palais , et le feuillage agreste, qui ne demande qu’à envahir les
brèches, sera bientôt comme un signe d’apaisement et de douceur
s’étendant enfin sur l’inexpugnable forteresse de l’orgueil et de la
domination.
Il y a deux ans., quelques jours après la séance qu’y tinrent les
membres du congrès d’archéologie, j’ai parcouru le castel en détail,
n’omettant ni les souterrains, ni les in-pace, me promenant tantôt
sur les chemins de ronde, tantôt sur la terrasse de la bastille d’entrée
et terminant ma visite par l’ascension encore assez périlleuse du don-
jon. Tous les Flamands héroïques, maîtres du château ou prisonniers
dans ses murailles, depuis Baudouin Bras de Fer jusqu’à Jacques
van Artevelde, surgissaient devant moi, vivants, dans ce cadre
austère si bien approprié à leurs rudes physionomies. Du haut de la
tour centrale je vis s’étaler à mes pieds la cité entière, ce Gand ter-
rible et frondeur que Charles-Quint aimait et châtiait avec un égal
emportement. Et l’histoire de la ville, confondue avec celle de l’al-
tière forteresse, déroula soudainement dans mon esprit ses épisodes
les plus glorieux.
L’emplacement exceptionnel de Gand, au confluent d'une grande
rivière et d’un fleuve, la Lys et l’Escaut, explique suffisamment
l’importance considérable que la ville prit au moyen âge et la puis-
sance que devait acquérir forcément une population aussi bien
abritée de toutes parts. Il semble prouvé aujourd’hui que Gand est
issu d’un humble village de pêcheurs, établi des deux côtés de la
Lys, à l’endroit où la rivière, en s’arrondissant, détermine une sorte
de péninsule avant de se jeter dans l’Escaut. A l’époque où fut com-
mencée la construction du ’s Gravensteen, le territoire de Gand pou-
vait se diviser, comme aujourd’hui, en quatre parties distinctes: le
Vieux-Bourg, sis à droite de la Lys; la cité proprement dite, appelée
aussi la Cuve de Gand parce qu’elle s’étendait sur la presqu’île na-
turelle comprise entre les deux rivières; et les deux abbayes de
Saint-Bavon et de Saint-Pierre, l’une à l’ouest, l’autre au sud, fondées
toutes les deux au vu® siècle par saint Amand, le convertisseur de la
Llandre. De ces quatre vici, le plus ancien serait le Vieux-Bourg,
que les documents du moyen âge appellent Velus castruni ou Velus
Burgus, en flamand le Oudburght, en français roman le Viesbourch.