MONUMENTS DE L'ART ANTIQUE.
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base de candélabre1. Ce qui nous semble encore plus concluant, c'est l'aspect
de force et de vigueur que l'artiste s'est efforcé de traduire. Cette puissante enco-
lure qui suppose de larges épaules, une poitrine bien développée, fait songer aux
épithètes attribuées par la poésie au maître de la mer; c'est le dieu « à la large
poitrine » (eùpuaTspvoç), le dieu « robuste » (eùpuoôev^ç)* La plastique grecque lui prête
les formes solides et un peu ramassées de l'homme de mer, comme il convient à la
•divinité qui règne sur le plus rude des éléments; elle le distingue ainsi de Zeus,
dont la force plus sereine n'éveille en aucune façon l'idée de la lutte et de l'effort.
Si l'on a pu hésiter sur le nom, dès le moment de la découverte il n'y
eut qu'une voix pour proclamer le mérite artistique de cet admirable morceau.
Winckelmann déclarait que « c'est l'idéal lui-même2 ». Sans prendre au pied de
la lettre la formule échappée à l'enthousiasme du savant antiquaire, il est certain
que l'art ancien nous a laissé peu de spécimens plus accomplis de l'art du bronze.
La facture de la chevelure et de la barbe est merveilleuse de finesse; le burin seul a
pu rendre avec cette étonnante précision les stries ondulées laissées par les dents
du peigne, l'aspect soyeux de la barbe dont les boucles se tordent et s'enroulent
en anneaux ; sous la lèvre inférieure, elle est travaillée avec une telle minutie,
qu'on n'imagine pas le souci du détail poussé plus loin. Les boucles qui font
saillie à la hauteur des tempes ont été fondues à part et soudées après coup. Par
un contraste naturel, le soin délicat avec lequel ces accessoires sont exécutés fait
valoir le modelé large et franc des chairs du visage et de la poitrine.
Est-ce un original? Friederichs croit voir dans notre bronze une bonne copie
d'une œuvre grecque3, mais il est difficile d'admettre cette opinion. Les copies
anciennes étaient faites très librement; si scrupuleux qu'on suppose l'artiste chargé
de cette reproduction, aurait-il apporté à son travail ce soin exquis, cette coquet-
terie de perfection qui donnent au bronze d'Herculanum toute la saveur d'un
original? Mais voici une autre raison qui nous semble plus forte Le lecteur sait
déjà que ce buste n'est qu'un fragment; le bronze a été retaillé, comme si l'on avait
voulu conserver un débris d'une statue mutilée, en lui donnant la meilleure mine
possible; pareille précaution avait été prise pour le buste archaïque d'Apollon
trouvé dans la même villa. Le fin connaisseur qui avait recueilli dans sa galerie des
œuvres telles que les Danseuses du musée de Naples n'aurait sans doute pas fait
cet honneur à une simple copie. On peut même aller plus loin et admettre, avec
M. Lenormant, que le buste provient d'une ville de la Grande-Grèce, à savoir de
Tarente. Le groupe entier de Poséidon et de Taras aurait été placé dans un temple
de la ville où il aurait servi de modèle au graveur de la monnaie que nous avons
1. Muller-Wieseler, Denkmàler, II, pl. VI, fîg. 75.
2. Lettre au comte de Brùhl, § 55, p. 146, éd. de Dresic, 1839.
3. Bausteine. ecc, loc. cit.
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base de candélabre1. Ce qui nous semble encore plus concluant, c'est l'aspect
de force et de vigueur que l'artiste s'est efforcé de traduire. Cette puissante enco-
lure qui suppose de larges épaules, une poitrine bien développée, fait songer aux
épithètes attribuées par la poésie au maître de la mer; c'est le dieu « à la large
poitrine » (eùpuaTspvoç), le dieu « robuste » (eùpuoôev^ç)* La plastique grecque lui prête
les formes solides et un peu ramassées de l'homme de mer, comme il convient à la
•divinité qui règne sur le plus rude des éléments; elle le distingue ainsi de Zeus,
dont la force plus sereine n'éveille en aucune façon l'idée de la lutte et de l'effort.
Si l'on a pu hésiter sur le nom, dès le moment de la découverte il n'y
eut qu'une voix pour proclamer le mérite artistique de cet admirable morceau.
Winckelmann déclarait que « c'est l'idéal lui-même2 ». Sans prendre au pied de
la lettre la formule échappée à l'enthousiasme du savant antiquaire, il est certain
que l'art ancien nous a laissé peu de spécimens plus accomplis de l'art du bronze.
La facture de la chevelure et de la barbe est merveilleuse de finesse; le burin seul a
pu rendre avec cette étonnante précision les stries ondulées laissées par les dents
du peigne, l'aspect soyeux de la barbe dont les boucles se tordent et s'enroulent
en anneaux ; sous la lèvre inférieure, elle est travaillée avec une telle minutie,
qu'on n'imagine pas le souci du détail poussé plus loin. Les boucles qui font
saillie à la hauteur des tempes ont été fondues à part et soudées après coup. Par
un contraste naturel, le soin délicat avec lequel ces accessoires sont exécutés fait
valoir le modelé large et franc des chairs du visage et de la poitrine.
Est-ce un original? Friederichs croit voir dans notre bronze une bonne copie
d'une œuvre grecque3, mais il est difficile d'admettre cette opinion. Les copies
anciennes étaient faites très librement; si scrupuleux qu'on suppose l'artiste chargé
de cette reproduction, aurait-il apporté à son travail ce soin exquis, cette coquet-
terie de perfection qui donnent au bronze d'Herculanum toute la saveur d'un
original? Mais voici une autre raison qui nous semble plus forte Le lecteur sait
déjà que ce buste n'est qu'un fragment; le bronze a été retaillé, comme si l'on avait
voulu conserver un débris d'une statue mutilée, en lui donnant la meilleure mine
possible; pareille précaution avait été prise pour le buste archaïque d'Apollon
trouvé dans la même villa. Le fin connaisseur qui avait recueilli dans sa galerie des
œuvres telles que les Danseuses du musée de Naples n'aurait sans doute pas fait
cet honneur à une simple copie. On peut même aller plus loin et admettre, avec
M. Lenormant, que le buste provient d'une ville de la Grande-Grèce, à savoir de
Tarente. Le groupe entier de Poséidon et de Taras aurait été placé dans un temple
de la ville où il aurait servi de modèle au graveur de la monnaie que nous avons
1. Muller-Wieseler, Denkmàler, II, pl. VI, fîg. 75.
2. Lettre au comte de Brùhl, § 55, p. 146, éd. de Dresic, 1839.
3. Bausteine. ecc, loc. cit.