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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 16.1890 (Teil 1)

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Jullien, Adolphe: "Salammbô" à Bruxelles
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https://doi.org/10.11588/diglit.25869#0140

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I 2Ô

L’ART.

centrer toute la puissance d’expression de la musique sur
la fable même imaginée par Flaubert et sur la double
incarnation du mercenaire révolté dans Mâtho, de Carthage
éplorée en Salammbô.

De là chez M. Reyer, j’imagine, le projet très sagement
arrêté de traiter ce sujet antique en tragédie lyrique, ainsi
que Berlioz a fait pour les amours de Didon et d’Enée, en
s’appuyant surtout sur le maître absolu de la musique dra-
matique : Gluck, dont tous les compositeurs se réclament
aujourd’hui, mais que bien peu se résignent à imiter.
M. Reyer non seulement l’admire et l’aime, mais il s’ins-
pire ouvertement de lui et s’efforce d’élever sa déclamation
à la puissance d’expression, à la force pathétique qui font
l’éternelle beauté d'Alceste, d'Orphée et d'Armide. 11 y
arrive et sait aussi clarifier, simplifier son instrumentation,
comme le faisait Gluck, pour réagir contre les recherches
alambiquées et les mièvreries précieuses d une certaine
catégorie de musiciens plus prétentieux et raffinés qu’ins-
pirés. Mais M. Reyer, si fort qu’il soit épris de Gluck,
se rend un compte exact des modifications, des progrès
que la musique a réalisés depuis un siècle, et, comme il est
disposé plus que quiconque à
pousser en avant, il a conçu et
réalisé sa tragédie antique dans
une forme entièrement neuve et
qui n’a pas laissé de surprendre
les plus audacieux. Berlioz, qui
exécrait Wagner, voyait Gluck à
travers Spontini, et sa tragédie
des Troyens est exactement
coupée comme Olympie ou la
Vestale; M. Reyer, au contraire,
voit Gluck à travers Richard
Wagner, et, tout en s’inspirant
de lui pour la déclamation, il
brise entièrement le moule de
l’ancienne tragédie, il en sup-
prime les repos traditionnels et
crée une œuvre où chaque acte
forme un tout complet sans
apparence de duos, de trios, de
cavatines ou d’ensembles : rien
que des récits, des mélopées et
des chœurs.

Voilà la grande hardiesse de cet ouvrage, et elle est
capitale. Il a surgi, dans ces derniers temps, nombre
d’opéras où les divisions en airs, morceaux ou ensembles,
sont rayées du programme et subsistent cependant dans la
réalité; mais rien de pareil avec Salammbô, et toutes les
scènes ou phrases, qui forment un acte, présentent entre
elles une cohésion telle qu’on n’en saurait détacher aucune.
En supprimant ainsi toute coupe arrêtée d’avance, en
proscrivant les répétitions et les redites, en faisant inter-
venir chaque personnage ou le chœur quand il le faut,
mais sans les laisser parler une mesure de plus qu’il n’est
nécessaire, il a réalisé une œuvre foncièrement nouvelle
dans l’école française et ce lui sera un grand honneur
que de l’avoir créée. Avec M. Reyer, non seulement le
chanteur n’a pas de beau point d’orgue où briller; mais il
ne peut même pas, le plus souvent, traîner sur la cadence,
afin de se faire applaudir, et si par malheur quelques bravos
se font entendre, on les réprime aussitôt pour ne pas
perdre le cours du commentaire musical qui se poursuit à
l’orchestre et ne laisse pas un moment l’auditeur inat-
tentif.

Sur une œuvre ainsi conçue, ajoutez les belles qualités
dont M. Reyer a fait preuve dans ses créations antérieures
et qui brillent tout autant dans celle-ci : une rare vigueur

dans les passages dramatiques; une émotion sincère, un
charme rêveur dans les scènes de tendresse; une séré-
nité calme et douce dans les épisodes religieux; une hor-
reur invincible pour tout ce qui n’est que procédé et ne
part pas directement du cœur, un respect absolu de soi-
même avec la volonté bien arrêtée de faire exactement ce
qu il croit bon sans autrement s’inquiéter de plaire au
public, au bourgeois, comme aurait dit Flaubert; et vous
aurez idée de ce qu il a dû faire en évoquant par les sons
la fille d’Hamilcar. J’ai dit, plus haut, en parlant de l’ins-
trumentation, que M. Reyer, de ce côté aussi, avait voulu
faire simple et réagir contre les complications purement
théoriques de certains musiciens de nos jours. En effet,
un artiste aussi richement doué que lui n’a pas besoin de
recourir à cet inextricable enchevêtrement de tout petits
motifs qui cachent toujours une grande pauvreté d’in-
vention; il sait très bien que les œuvres des maîtres les
plus compliqués en apparence, et Beethoven, et Berlioz et
Wagner, sont toutes d'une limpidité parfaite, tandis que
celles de leurs imitateurs, sans ombre de génie ni même
d’idées, tombent dans une complexité, une confusion par-
faitement stériles : en dessous
de ce travail d’orchestre enche-
vêtré comme à plaisir, il n’y a
rien que le vide — ou le néant.

Mais M. Reyer, en procédant
comme les vrais grands maîtres,
avec une sobriété, une clarté
parfaites, donne toujours à son
orchestre une couleur très per-
sonnelle, provenant surtout de
l’emploi fréquent des instru-
ments intermédiaires, à la sono-
rité pénétrante, au timbre voilé
— comme les altos, la clarinette,
le cor, — et quand cela devient
nécessaire, il sait aussi dépeindre
avec une instrumentation très
grouillante les mouvements vio-
lents de la foule et les élans de
fureur de tout un peuple en ré-
volte. Ainsi, le premier acte de
Salammbô, qui réunit dans un
même tableau le festin des mer-
cenaires à Carthage et leur révolte devant Sicca, avec une
apparition de Salammbô cherchant à calmer cette horde
en furie, est un tableau d’une animation surprenante où
l’orchestre et les chœurs ont le rôle principal, où les
solistes : Mâtho, Narr-Havas, Spendius, ne chantent que
de courtes phrases, toutes caractérisques, il est vrai, et
d’une belle venue, mais qui se fondent dans le bouillon-
nement de l’orchestre et des répliques précipitées des
chœurs.

Le dessin d’orchestre, notamment, sur lequel Narr-
Havas et Mâtho se promettent fidèle amitié, souligne a
merveille, avec son vigoureux dessin fugué, le serment
d’alliance entre le mercenaire et le roi. Et de même à la
fin, lorsque Spendius, délivré par Mâtho, s’efforce d’exci-
ter son ambition, son ardeur contre Carthage, il y a là,
sous le dialogue pressé des deux hommes, un commen-
taire orchestral que je signale aux jeunes compositeurs de
notre époque : ils y apprendront à être expressifs et saisis-
sants sans vain étalage de complications stériles. Au milieu
de l’acte, apparaît Salammbô, je l’ai dit, et son interven-
tion est soulignée par des chants religieux très particuliers
où le motif caractéristique de l’héroïne se mêle à celui de
la déesse Tanit; sa déploration même et son apostrophe
aux rebelles sont d’une vigueur singulière et concourent

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