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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 16.1890 (Teil 1)

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Jullien, Adolphe: "Salammbô" à Bruxelles
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https://doi.org/10.11588/diglit.25869#0142

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L’ART.

Simple effet de théâtre, à coup sûr, mais dont l’auteur
pourrait tenir compte en développant un peu certains pas-
sages et sans nullement modifier son plan général.

Le quatrième acte se termine par le tableau du champ
de bataille où l'on voit Hamilcar, vainqueur, envoyer les
mercenaires prisonniers à la mort et réserver le seul
Mâtho pour erre immolé sur l’autel de Tanit le jour même
où le perfide Narr-Havas deviendra l’époux de Salammbô ;
et quand celle-ci revient vêtue de noir, livide, au milieu de
soldats triomphants auxquels elle rapporte le Zaïmph pro-
tecteur, cette apparition est tout à fait saisissante, autant
par les belles attitudes de Mmc Caron que par la musique
elle-même. Au dernier acte enfin, après une grande marche
triomphale accompagnant le défilé de tout le peuple et
des prêtres se rendant au temple de Tanit pour égorger
Mâtho et célébrer les noces de Salammbô, arrive la scène
du sacrifice ; ici, l’auteur a judicieusement chargé l’or-
chestre d’exprimer par des rappels de motifs essentiels le

suprême adieu des deux amants qui vont mourir l’un
par l’autre et qui ne peuvent, devant cette populace avide
de sang, se dire leur dernier élan d’amour que par le
muet langage des yeux. Toute cette fin est conçue et
rendue avec une sobriété musicale et une intensité drama-
tique qu’on voit rarement.réunies à pareil degré.

J’ai entendu trois fois Salammbô et à chaque nouvelle
audition j’en ai mieux apprécié la sincérité d’accent, la
pureté mélodique, la force scénique ; à chaque fois, j’ai
mieux senti quelle conviction inébranlable s’affirmait dans
cette œuvre écrite avec passion, sans autre objectif que la
vérité, avec un constant dédain de toutes les ficelles, de
toutes les ingéniosités dont les musiciens, dits habiles,
usent d’ordinaire afin de séduire et de charmer la foule.
Ici, bien au contraire et de toute évidence, M. Reyer a
réagi contre cette humilité dégradante des compositeurs à
la mode envers le public ; il a fait honnêtement, coura-
geusement ce qu’il voulait faire et l’a bien fait; il sera

récompensé de celte honnêteté artistique, tellement excep-
tionnelle à présent, par un éclatant succès.

Et jamais je n'ai mieux compris le mérite et la valeur
de Salammbô que lorsque j’entendis, entre deux représen-
tations, une exécution d’Esclarmonde, cette œuvre de
fausse hardiesse où l’auteur a réuni tous les clichés de
l’opéra le plus banal, où les cavatines, les points d’orgue,
les cocottes, les quatuors en hors-d’œuvre et les duos à
grands coups de gosier forment le plus étrange amalgame
qui se puisse voir avec des procédés, des mélopées, des
crescendos imités de Richard Wagner ; bref, tout ce qu’un
compositeur plus adroit que scrupuleux peut rassembler
d’ingrédients divers pour que son ragoût musical plaise à
la fois, si c’est possible, à tout le monde. On l’applaudit, il
est vrai, parmi les badauds; mais parmi les connaisseurs
nul ne le prend au sérieux, et sa production toute de pla-
cage est destinée à descendre à mesure qu’une œuvre de
conviction comme Salammbô montera dans l’estime des
vrais amateurs.

Salammbô, c’est M,ne Caron avec ses attitudes poé-
tiques, ses gestes éloquents, ses yeux profonds et sa voix-

expressive; elle est parfaite à deux scenes près, celle de la
tente et celle du sacrifice, où elle n’a pas encore trouvé,
où elle trouvera sans doute un jour quelque élan, quelque
mouvement plus dramatique. Mâtho, c'est M. Sellier, avec
sa voix solide et sa large carrure; Hamilcar et Schahaba-
rim sont représentés par le baryton Renaud dont l’organe
est réellement splendide, et par M. Vergnet dont la voix
claire et bien sonnante dans le haut convient à mei veille
au personnage; M. Bouvet dans Spendius, M. Sentein
dans Narr-Havas, enfin M. Barwolf, à la tête de l’or-
chestre, ont tous contribué à l’éclat de cette soirée, et tous
se souviendront avec fierté du to février 1890.

A présent, que M. Reyer remercie ses amis Stoumon
et Calabresi de lui avoir fait si bel accueil au théâtre de la
Monnaie, ce ne sera que justice; mais qu il n’oublie pas
ses ennemis Ritt et Gailhard qui 1 ont dédaigneusement
exilé là-bas : c’est par eux, c’est contre eux que sa victoire
a pris les proportions d’un triomphe et l’éclat d’une répa-
ration.

Adolphe Jcllien,

Le Gérant, E. MÉNARD.
 
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