28
LA CHRONIQUE DES ARTS
faire, à son intention, une statue commémora-
tive de Napoléon ; il se mit à l'œuvre dès sa ren-
trée à Paris, au mois de mars do la même année.
Le sculpteur, très consciencieux d'ailleurs poul-
ies détails, ne se doutait pas, une fois le motif
trouvé et la pose résolue, à quelle minutieuse
exactitude il allait avoir à se soumettre ; mais
cela n'était pas fait pour lui- déplaire, car Rude
ne reculait jamais devant les accessoires aidant
à l'absolue compréhension du sujet ; on peut
donc dire qu'il se prêta, par goût, à la véracité
des indices que Noisot se mit en quête d'obtenir,
en raison des relations conservées avec ceux res-
tés fidèles à la mémoire de l'Empereur.
Dès lors, cette collaboration à l'idéal dont
l'obsession prenait corps sous l'intelligent ébau-
choir d'un artiste consciencieux, fut pour le vieux
soldat une existence de constantes satisfactions
dont il fit partager les exigences au sculpteur.
Tout particulièrement attaché au service do
l'Empereur, Marchand, qui l'avait assisté à ses
derniers moments, prêta l'empreinte du masque
authentique do son maître, il procura aussi le
manteau, le chapeau, l'uniforme et les bottes.
A propos de ces dernières, et sans avoir recours
aux détails anecdotiques qu'on peut trouver dans
les comptes rendus do l'exposition de la statue, à
Paris, chez le sculpteur, nous citerons un fait,
peignant bien la conscience avec laquelle ce
dernier voulait traiter les dessous d'un sujelqui,
sauf le haut du buste et la tête, sont cependant
recouverts d'une draperie ou d'un manteau.
Un de mes amis, familier de la maison, entrait
souvent dire un bonjour matinal à l'atelier; il
aperçoit, en se rendant rue d'Enfer, Noisot
arpentant l'avenue de l'Observatoire à grandes
enjambées et, le rejoignant : — « Dieu me par-
donne, commandant, vous êtes botté haut comme
si vous alliez faire une étape et partir en guerre ! »
— « Ne m'en parlez pas, mon cher Maximin, co
sont les bottes de l'Empereur auxquelles, chaque
matin, j'essaie de rendre la souplesse perdue,
hélas ! depuis Sainte-Hélène, et dont Rude a
besoin pour la pose. »
L'épée figurait aussi, mais sa représentation
avec les mêmes données d'exactitude devenait un
peu difficile. Le général Petit ayant la respon-
sabilité des reliques impériales, aux Invalides,
il était peu probable, malgré le grand intérêt
s'attachant à l'œuvre de Rudo, qu'il consentit à
prêter co document historique au sculpteur, qui,
lui, désirait passer outre, en reproduisant une
arme similaire. Quant à Noisot il ne voulait
pas en démordre : «-On montre l'épée, disait-il,
donc il faut, puisqu'elle existe, que ce soit le
fac-similé de la vraie ; tout le monde a pu voir co
précieux document. »
Cabet, l'élève favori, avait son atelier à côté du
maître. Un jour, Rudo, lassé do la persistance do
l'intransigeant pourvoyeur à ne pas fairo de
concession, appelle lo voisin et, s'adressant à lui
et à Noisot : « Mes amis, si intéressants que
soient les accessoires, il faut en finir avec ces
détails ; voici ce que je propose : Vous allez vous
rendre chez le général Petit, non pas pour lui
demander l'épée de Napoléon, ce serait indiscret,
mais afin que Cabot en dessine exactement la
poignée ; et comme notre artiste est très intelli-
gent, il aura soin, pour abréger sa besogne, de se
munir d'une boulette de cire, c'est compris ? » —
« Oui, maître, répond Cabot, en souriant : pondant
que le commandant parlera grande armée avec
le général, ce qui me donnera du temps, je
m'arrangerai pour estamper l'arme et nous la
reconstruirons, tout de suite, à l'atelier, »
La chose ainsi réglée se passa absolument
comme elle avait été prévue, et Noisot eut son
fac-similé.
Le 17 septembre 1847, on inaugurait en grandi;
pompe, à. Fixin (Côte-d'Or), le monument désigné
sous le nom de La Résurrection de Napoléon, sui-
te socle duquel on lisait : A Napoléon, Noisot,
grenadier de Vile d'Elbe et Rude, statuaire,
1846.
Nous tirons les lignes suivantes do la descrip-
tion du monument, faite par lo National du 28
août 1847 : «.....C'est une apothéose ; Napoléon est
couché dans son manteau de Marengo,.... le voici
qui se réveille du trépas; il so redresse lente-
ment sur son roc, et, d'une main, soulève au-des-
sus de sa tête son long manteau de guerre, lin-
ceul dont il est enveloppé. Il est encore à moitié
couché et enseveli dans ses plis funèbres; mais
sa poitrine so découvre vêtue du glorieux uni-
forme, son buste se hausse, son bras s'étend, sa
main clièrche l'espace, tout son corps semble
frémir et monter ; déjà ses yeux, demi-clos, na-
gent dans une autre lumière et son front cou-
ronné aspire et touche à d'autres cieux ; encore
un moment et un souffle supérieur l'emportera
bien loin du rocher de Sainte-Hélène.....L'ensei-
gne de la Grande-Armée, le symbole populaire de
l'Empire, l'aigle, est là aussi, mais sous une
forme poétique : tombée palpitante de la nue sili-
ce rocher, elle figure une autre chute profonde.
Ainsi le sujet se caractérise en s'ennoblissant ;
ainsi l'homme reste sous le héros, et son cos-
tume même passe dans l'apothéose : le beau en-
veloppe le vrai, et l'histoire se fait cligne de
l'art. »
Il y eut deux projets pour l'œuvre précédente.
En principe, l'idée de Rude fut de représenter un
Napoléon à l'étroit sur le rocher de Saint-Hé-
lène ; dans ce premier projet, c'était le corps
inerte du grand homme, couché sur le dos, rigide
et nu dans son suaire, dépassant légèrement los
limites de la roche basaltique. Cette esquisse,
très faite, existe à Fixin, où elle est précieuse-
ment conservée dans la maison du garde. On ne
peut mieux la comparer qu'à la statue de Cavai-
gnac, sur laquelle le sculpteur continua et mena
à bonne fin l'ébauche de 1844, commencée pour le
Napoléon, laquelle fut abandonnée, no satisfai-
sant pas Noisot, qui voulait un rappel glorieux,
une résurrection en quelque sorte do son idéal.
C'est alors que le sculpteur composa le monu-
ment décrit plus haut, et dont l'épreuve, en plâ-
tre, est au Musée du Louvre.
***
La Statue du Maréchal Ney
Peu de temps après l'avènement au trône de
l'empereur Napoléon III, il fut question, en haut
lieu, d'élever une statue au maréchal Ney à l'en-
droit même où il avait été fusillé ; ot, par avance,
la date de l'inauguration de ce monument, consi-
déré comme expiatoire, devait se rapporter à celle
do son exécution après les Cent Jours (samedi
7 décembre 1815).
LA CHRONIQUE DES ARTS
faire, à son intention, une statue commémora-
tive de Napoléon ; il se mit à l'œuvre dès sa ren-
trée à Paris, au mois de mars do la même année.
Le sculpteur, très consciencieux d'ailleurs poul-
ies détails, ne se doutait pas, une fois le motif
trouvé et la pose résolue, à quelle minutieuse
exactitude il allait avoir à se soumettre ; mais
cela n'était pas fait pour lui- déplaire, car Rude
ne reculait jamais devant les accessoires aidant
à l'absolue compréhension du sujet ; on peut
donc dire qu'il se prêta, par goût, à la véracité
des indices que Noisot se mit en quête d'obtenir,
en raison des relations conservées avec ceux res-
tés fidèles à la mémoire de l'Empereur.
Dès lors, cette collaboration à l'idéal dont
l'obsession prenait corps sous l'intelligent ébau-
choir d'un artiste consciencieux, fut pour le vieux
soldat une existence de constantes satisfactions
dont il fit partager les exigences au sculpteur.
Tout particulièrement attaché au service do
l'Empereur, Marchand, qui l'avait assisté à ses
derniers moments, prêta l'empreinte du masque
authentique do son maître, il procura aussi le
manteau, le chapeau, l'uniforme et les bottes.
A propos de ces dernières, et sans avoir recours
aux détails anecdotiques qu'on peut trouver dans
les comptes rendus do l'exposition de la statue, à
Paris, chez le sculpteur, nous citerons un fait,
peignant bien la conscience avec laquelle ce
dernier voulait traiter les dessous d'un sujelqui,
sauf le haut du buste et la tête, sont cependant
recouverts d'une draperie ou d'un manteau.
Un de mes amis, familier de la maison, entrait
souvent dire un bonjour matinal à l'atelier; il
aperçoit, en se rendant rue d'Enfer, Noisot
arpentant l'avenue de l'Observatoire à grandes
enjambées et, le rejoignant : — « Dieu me par-
donne, commandant, vous êtes botté haut comme
si vous alliez faire une étape et partir en guerre ! »
— « Ne m'en parlez pas, mon cher Maximin, co
sont les bottes de l'Empereur auxquelles, chaque
matin, j'essaie de rendre la souplesse perdue,
hélas ! depuis Sainte-Hélène, et dont Rude a
besoin pour la pose. »
L'épée figurait aussi, mais sa représentation
avec les mêmes données d'exactitude devenait un
peu difficile. Le général Petit ayant la respon-
sabilité des reliques impériales, aux Invalides,
il était peu probable, malgré le grand intérêt
s'attachant à l'œuvre de Rudo, qu'il consentit à
prêter co document historique au sculpteur, qui,
lui, désirait passer outre, en reproduisant une
arme similaire. Quant à Noisot il ne voulait
pas en démordre : «-On montre l'épée, disait-il,
donc il faut, puisqu'elle existe, que ce soit le
fac-similé de la vraie ; tout le monde a pu voir co
précieux document. »
Cabet, l'élève favori, avait son atelier à côté du
maître. Un jour, Rudo, lassé do la persistance do
l'intransigeant pourvoyeur à ne pas fairo de
concession, appelle lo voisin et, s'adressant à lui
et à Noisot : « Mes amis, si intéressants que
soient les accessoires, il faut en finir avec ces
détails ; voici ce que je propose : Vous allez vous
rendre chez le général Petit, non pas pour lui
demander l'épée de Napoléon, ce serait indiscret,
mais afin que Cabot en dessine exactement la
poignée ; et comme notre artiste est très intelli-
gent, il aura soin, pour abréger sa besogne, de se
munir d'une boulette de cire, c'est compris ? » —
« Oui, maître, répond Cabot, en souriant : pondant
que le commandant parlera grande armée avec
le général, ce qui me donnera du temps, je
m'arrangerai pour estamper l'arme et nous la
reconstruirons, tout de suite, à l'atelier, »
La chose ainsi réglée se passa absolument
comme elle avait été prévue, et Noisot eut son
fac-similé.
Le 17 septembre 1847, on inaugurait en grandi;
pompe, à. Fixin (Côte-d'Or), le monument désigné
sous le nom de La Résurrection de Napoléon, sui-
te socle duquel on lisait : A Napoléon, Noisot,
grenadier de Vile d'Elbe et Rude, statuaire,
1846.
Nous tirons les lignes suivantes do la descrip-
tion du monument, faite par lo National du 28
août 1847 : «.....C'est une apothéose ; Napoléon est
couché dans son manteau de Marengo,.... le voici
qui se réveille du trépas; il so redresse lente-
ment sur son roc, et, d'une main, soulève au-des-
sus de sa tête son long manteau de guerre, lin-
ceul dont il est enveloppé. Il est encore à moitié
couché et enseveli dans ses plis funèbres; mais
sa poitrine so découvre vêtue du glorieux uni-
forme, son buste se hausse, son bras s'étend, sa
main clièrche l'espace, tout son corps semble
frémir et monter ; déjà ses yeux, demi-clos, na-
gent dans une autre lumière et son front cou-
ronné aspire et touche à d'autres cieux ; encore
un moment et un souffle supérieur l'emportera
bien loin du rocher de Sainte-Hélène.....L'ensei-
gne de la Grande-Armée, le symbole populaire de
l'Empire, l'aigle, est là aussi, mais sous une
forme poétique : tombée palpitante de la nue sili-
ce rocher, elle figure une autre chute profonde.
Ainsi le sujet se caractérise en s'ennoblissant ;
ainsi l'homme reste sous le héros, et son cos-
tume même passe dans l'apothéose : le beau en-
veloppe le vrai, et l'histoire se fait cligne de
l'art. »
Il y eut deux projets pour l'œuvre précédente.
En principe, l'idée de Rude fut de représenter un
Napoléon à l'étroit sur le rocher de Saint-Hé-
lène ; dans ce premier projet, c'était le corps
inerte du grand homme, couché sur le dos, rigide
et nu dans son suaire, dépassant légèrement los
limites de la roche basaltique. Cette esquisse,
très faite, existe à Fixin, où elle est précieuse-
ment conservée dans la maison du garde. On ne
peut mieux la comparer qu'à la statue de Cavai-
gnac, sur laquelle le sculpteur continua et mena
à bonne fin l'ébauche de 1844, commencée pour le
Napoléon, laquelle fut abandonnée, no satisfai-
sant pas Noisot, qui voulait un rappel glorieux,
une résurrection en quelque sorte do son idéal.
C'est alors que le sculpteur composa le monu-
ment décrit plus haut, et dont l'épreuve, en plâ-
tre, est au Musée du Louvre.
***
La Statue du Maréchal Ney
Peu de temps après l'avènement au trône de
l'empereur Napoléon III, il fut question, en haut
lieu, d'élever une statue au maréchal Ney à l'en-
droit même où il avait été fusillé ; ot, par avance,
la date de l'inauguration de ce monument, consi-
déré comme expiatoire, devait se rapporter à celle
do son exécution après les Cent Jours (samedi
7 décembre 1815).