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La chronique des arts et de la curiosité — 1898

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Nr. 4 (22 Janvier)
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https://doi.org/10.11588/diglit.19746#0037
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ET DE LA CURIOSITÉ

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Hcmse. En sa double qualité de directeur de la
National Gallery et de président de la Royal
Acadomy, sir Edward Poynter se trouve dans une
situation unique pour servir les intérêts de l'une
et de l'autre de ces institutions, et nous nous
permettons de croire que la mission de former le
goût public, dévolue sans conteste aux académi-
ciens, est aussi bien remplie par quelque mani-
festation intéressant le grand art du passé que
par n'importe quel Salon rassemblant des produc-
tions contemporaines. Encore un choix scrupu-
leux n'ost-il pas toujours une garantie de grand
mérite lorsqu'il s'agit du passé, comme le prési-
dent de l'Academy vient d'avoir l'occasion de le
prouver en refusant, avec pleine raison, un don
do deux cents tableaux de maîtres proposé pour
servir de noyau à une collection destinée à la Cité
de Londres et à son musée du Guildhall.

Deux sentiments frappent les visiteurs qui par-
courent les sept salles consacrées à l'œuvre do Mil-
lais : celui de la quantité et celui do la variété ; et
il faut reconnaître qu'en dépit de son abondante
production, sir John a échappé au reproche de
la monotonie dont son prédécesseur Leighton
n'était pas exempt. C'est une rude épreuve pour
un homme que celle de suffire à garnir seul les
murailles do l'Academy, et Millais en sort triom-
phalement; aucun artiste anglais vivant, M. Watts
excepté, ne pourrait prétendre au même succès.

L'œuvre de Millais se répartit sur une période
de cinquante-cinq ans, depuis les premiers des-
sins de son enfance, en passant par l'ère de la
confrérie préraphaélite et par la pleine maturi té,
jusqu'aux temps derniers, qu'il faut avouer mar-
qués par le déclin. A tous les moments de sa car-
rière, Millais fut inégal, son niveau artistique va-
ria, et si ses réussites sont sans conteste, ses in-
succès sont nombreux. Il y a, à la présente expo-
sition, bien des tableaux communs, triviaux même,
rapprochés de chefs-d'œuvre avérés et assez sou-
vent peints dans la même année. La vérité est que
Millais n'avait pas d'esprit de choix et cultivait le
lieu commun aussi souvent que le raffinement;
il peignait tout ce qu'il voyait et sa vision em-
brassait un champ immense : témoin ses paysa-
ges, ses portraits, ses sujets empruntés aux ro-
mans historiques. Dans chacun de ces genres,
c'est un charmant illustrateur, un narrateur sur
toile, et sa façon graphique de conter les choses
attirait l'esprit populaire. Ses tableaux de mœurs
familières {nursery-subjects), reproduits en cou-
leurs, ornaient les murs des cottages ; ses Bulles
de savon devinrent une affiche universelle. Il est
le type du peintre anglais et, bien qu'il n'ait pas
reçu du ciel les dons d'artiste d'un Watts, par
exemple, son nom sera cité dans l'avenir comme
celui de l'artiste qui caractérise l'ère victorienne.

(A suivre.) H. G.

VARIÉTÉS

RUDE

L'Artiste et le Soldat

J'eus l'occasion, en 1847, d'être présenté au
sculpteur Rude par un ami commun, le comman-
dant Noisot, de Dijon, que je vais, en quelques
lignes, faire connaître au lecteur.

Dans ma famille, qui se composait d'anciens
Bourguignons, on accueillait toujours très bien
le commandant, pendant les courts séjours qu'il
faisait chaque année dans la capitale ; c'était un
artiste en même temps qu'un vieux de la vieille,
ayant fait toutes les campagnes de l'Empire. Mis
à l'index après le désastre de Waterloo, pour
avoir commandé le bataillon sacré do l'île d'Elbe,
qui escorta ensuite l'Empereur à Paris, Noisot,
privé de sa solde à la Restauration, fut heureux
de se souvenir qu'il avait fait de la miniature
dans sa j eunesse, et son talent de dessinateur le
fit vivre indépendant à Dijon, avec une modeste
aisance.

A peu près de l'âge de Rude, ayant les mêmes
goûts et les mêmes entraînements que son com-
patriote, ils se lièrent intimement.

C'est pendant l'un des voyages du vieux soldat
à Paris, où j'étais en congé, qu'il m'offrit do me
conduire chez son ami logeant dans la rue d'Enfer
que j'habitais moi-même.

Je n'oublierai jamais la vive impression pro-
duite, dès l'entrée, par le sujet qui seul occupait
l'atelier de l'artiste, lorsque, subitement, on
voyait le corps de Godefroy Cavaignac enveloppé
dans son linceul : la lumière venait d'en haut
et l'aspect du cadavre étendu sur une table basse
était d'un effet saisissant, traduisant la pensée
intime du sculpteur avec toute l'intensité d'une
douloureuse émotion. Cette belle œuvre funéraire
ne prit sa place dans le cimetière Montmartre,
qu'en 1856.

Dans le même atelier de la rue d'Enfer fut
exposé le monument de l'Empereur qu'on appe-
lait, en 1847, à l'époque où je le vis terminé, le
■Réveil de Napoléon. Rude l'offrait à son vieil
ami Noisot, qui, bien entendu, prenait à. sa charge
les frais de fonte et l'installation do cet impor-
tant souvenir personnel, dans sa propriété do
Fixin, à dix kilomètres de Dijon.

Aussitôt la statue terminée, on fit prévenir le
général Gourgaud, l'ancien ■ officier d'ordonnance
de l'Empereur qui, en 1814, après le combat de
Brienne, lui sauva la vie en le défendant, l'épée
à la main, pour le tirer d'une embuscade de
Cosaques, et suivit en exil l'illustre captif.
1 Divisionnaire en 1830, le général Gourgaud,
aide de camp du roi Louis-Philippe, fut désigné,
en 1840, pour accompagner le prince do Joinville
à Sainte-Hélène et rapporter, aux Invalides, les
cendres de Napoléon.

Le général, appelé le premier à voir, dans l'ate-
lier de Rude, ce monument do tristesse et de
grandeur, se trouvant en- face, de l'imposante
ligure de son vénéré chef semblant renaître à la
vie, resta longtemps dans une morne contempla-
tion. Lorsqu'il se retourna, deux grosses larmes
sillonnaient ses joues ; serrant alors fortement la
main de Noisot : « Mon cher camarade, lui dit-il,
vous valez mieux que nous tous », faisant ainsi
allusion au douloureux et vivant souvenir capti-
vant ses yeux. Les deux soldats s'embrassèrent.

C'était bien, en effet, à Noisot qu'on devait la
représentation de l'apothéose do celui au culte
duquel il sacrifiait, lui aussi, car il ne cessait, de-
puis trente ans, d'en entretenir ceux qui le fré-
quentaient. Voici ce qui avait décidé le statuaire :

Dans un voyage en Bourgogne, au commence-
ment de 1844, Rude, frappé de l'idée fixe qui,
perpétuellement, hantait son ami, lui promit de
 
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