Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (2.Pér. 16.1877)

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

au milieu de la liste des victimes, les trois noms que voici placés dans l’ordre
suivant :

Symon Decker Cos te r

Carel Fabrityus inden doelstraat

Judick van pruijsen doelstraat.

Admettons pour un instant que Judick van Pruysen soit la belle-mère de Fabritius
(et nous verrons bientôt qu’elle l’était), ne nous occupons pas de Mathias Spoors, dont
le corps ne fut peut-être pas retrouvé ou qui, supposition plus probable, appartenait sans
doute à une autre confession que son maître, n’avons-nous pas sous la main un docu-
ment probant? Simon Decker, sacristain, le modèle, Carel Fabritius, demeurant dans
la doelstraat, le peintre, et Judick van Pruysen la belle-mère, voilà bien la scène de
Blevswvck reconstituée dans ses éléments principaux.

Donc Carel Fabritius est mort à Delft. Il est mort en peignant, en faisant un portrait.
Mais s’il faisait un portrait, c’est qu’il était membre de la Gilde de Saint-Luc, car nul
n’avait le droit d’exercer la profession de peintre, s’il n’avait, au préalable, été admis
dans la corporation, cela sous peine d’une amende de 10 florins et de la confiscation du
tableau b Eh oui! il était membre de la Gilde de Saint-Luc, car dès janvier 1873
j’avais relevé sur le Meestersboek 2 de cette association la mention suivante, qui ne
laisse aucun doute à cet égard :

Schilder. Kaerel Fabricyus heeft hem als meesler schilder anlekenen op den
29 october 1652. ende alsoo hij vreemt, is moet betalen tioaelf gidden, ende heeft
betaelt ses gidden resl 6 gui. — Verantwort lot hier toe.

Je traduis :

— Peintre. Kaerel Fabricyus est inscrit comme maître peintre le 29 octobre 1632. Et
comme étranger il doit payer 12 florins. Et il a payé 6 florins, reste 6 fl. — Répondu
pour le surplus.

Ce document est très-important, car non-seulement il affirme d’une façon péremp-
toire l’existence de notre artiste, mais il nous apprend encore que Fabritius était
étranger à Delft. Rien ne s’oppose donc à ce qu’il ait habité Amsterdam et à ce qu’il
soit bien ce même Fabritius avec lequel Van Hoogstraten a vécu familièrement dans
l’atelier de Rembrandt. Toutefois une chose nous inquiète. Pourquoi avoir quitté Amster-
dam pour Delft? une grande ville pour une petite, une scène vaste et brillante pour
un théâtre modeste, et surtout cet atelier de Rembrandt où il se trouvait si bien dans
son milieu?

Mon Dieu, Bleyswyck nous dit qu’en 1654 Fabritius devait avoir trente ans; à cet
âge le cœur est un maître tyrannique; n’y aurait-il point là une raison déterminante?
Fouillons donc les livres de mariage. Eh bien, nous avions raison. A la date du
20 août 1650, nous trouvons sur les registres de l’Église réformée une attestation qui
nous explique le déplacement de Fabritius.

1. Voir l’ordonnance constitutive de la Gilde (Gildebrief14 mai 1611) aux archives de Delft.

2. Deux volumes H S, à la Bibliothèque royale de la Haye.