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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
La décoration est, en général, dans un état de décadence aussi
accentué; on l’applique au hasard, sans tenir aucun compte, ni delà
forme, ni des lois les plus élémentaires de l’harmonie; on veut surtout
faire riche, mais c’est une richesse lourde, clinquante, sans caractère
et sans distinction. On cherche avant tout l’éclat et on l’obtient aux
dépens de la solidité de l’aspect; tout est creux, les couleurs aussi bien
que les couvertes. Il semble que certaines pièces viennent d’être
trempées dans de l’huile, du sirop, ou badigeonnées avec des confi-
tures ; on ose à peine y toucher.
Il en résulte qu’il est impossible de se rendre un compte exact de
la matière que l’on a sous les yeux ; on ne voit pas si c’est de la faïence,
de la porcelaine, du bois peint ou du carton verni; il est même des
fabricants qui veulent imiter le bronze et qui, dans l’espoir de donner
à leurs terres cuites l’apparence du métal, — ce à quoi ils n’arrivent
pas du reste, — en ont pour ainsi dire martelé la surface. La céramique
a perdu son ancienne franchise et l’on pourrait presque dire son
antique probité.
Et le mal tend à se généraliser; ce qui n’était qu’une exception, il
y a quelques années, nous paraît bien près de devenir la règle. Si nous
avions, comme M. Haviland, un « petit moyen » à proposer pour réagir
contre cette décadence d’une de nos plus belles industries, ce n’est
pas une exposition annuelle d’œuvres d’art que nous demanderions,
mais une exposition permanente de tout ce qui est à rejeter comme
contraire au bon goût. Ce que la commission de perfectionnement de la
manufacture de Sèvres a fait à plusieurs reprises pour les modèles et
la décoration de ses porcelaines devrait être fait, d’une façon générale,
par une commission composée d’artistes éminents et d’hommes au
goût sûr et éclairé, pour les produits de notre industrie. En réalité,
le public est un grand enfant et, de même que, dans les lexicologues, il
y a des exemples de langage vicieux et d’expressions mauvaises, de
même il devrait y avoir dans nos musées et, au besoin, dans nos écoles
spéciales, une salle réservée à l’éducation artistique des masses et
dans laquelle on montrerait ce qui est beau et surtout ce qui est laid,
ce qu’il faut aimer et ce qu’il faut bannir, aussi bien en matière de
céramique qu’en gravures et en images, en papiers de tenture, en
étoffes, etc., etc. Mais ce moyen, comme celui de M. Haviland, nous
paraît impraticable : il y aurait trop à condamner.
Il serait injuste cependant de désespérer tout à fait; il nous reste
encore assez de céramistes de premier ordre, ajrant conservé le
respect de leur art, pour qu’il nous soit permis de croire que leur
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
La décoration est, en général, dans un état de décadence aussi
accentué; on l’applique au hasard, sans tenir aucun compte, ni delà
forme, ni des lois les plus élémentaires de l’harmonie; on veut surtout
faire riche, mais c’est une richesse lourde, clinquante, sans caractère
et sans distinction. On cherche avant tout l’éclat et on l’obtient aux
dépens de la solidité de l’aspect; tout est creux, les couleurs aussi bien
que les couvertes. Il semble que certaines pièces viennent d’être
trempées dans de l’huile, du sirop, ou badigeonnées avec des confi-
tures ; on ose à peine y toucher.
Il en résulte qu’il est impossible de se rendre un compte exact de
la matière que l’on a sous les yeux ; on ne voit pas si c’est de la faïence,
de la porcelaine, du bois peint ou du carton verni; il est même des
fabricants qui veulent imiter le bronze et qui, dans l’espoir de donner
à leurs terres cuites l’apparence du métal, — ce à quoi ils n’arrivent
pas du reste, — en ont pour ainsi dire martelé la surface. La céramique
a perdu son ancienne franchise et l’on pourrait presque dire son
antique probité.
Et le mal tend à se généraliser; ce qui n’était qu’une exception, il
y a quelques années, nous paraît bien près de devenir la règle. Si nous
avions, comme M. Haviland, un « petit moyen » à proposer pour réagir
contre cette décadence d’une de nos plus belles industries, ce n’est
pas une exposition annuelle d’œuvres d’art que nous demanderions,
mais une exposition permanente de tout ce qui est à rejeter comme
contraire au bon goût. Ce que la commission de perfectionnement de la
manufacture de Sèvres a fait à plusieurs reprises pour les modèles et
la décoration de ses porcelaines devrait être fait, d’une façon générale,
par une commission composée d’artistes éminents et d’hommes au
goût sûr et éclairé, pour les produits de notre industrie. En réalité,
le public est un grand enfant et, de même que, dans les lexicologues, il
y a des exemples de langage vicieux et d’expressions mauvaises, de
même il devrait y avoir dans nos musées et, au besoin, dans nos écoles
spéciales, une salle réservée à l’éducation artistique des masses et
dans laquelle on montrerait ce qui est beau et surtout ce qui est laid,
ce qu’il faut aimer et ce qu’il faut bannir, aussi bien en matière de
céramique qu’en gravures et en images, en papiers de tenture, en
étoffes, etc., etc. Mais ce moyen, comme celui de M. Haviland, nous
paraît impraticable : il y aurait trop à condamner.
Il serait injuste cependant de désespérer tout à fait; il nous reste
encore assez de céramistes de premier ordre, ajrant conservé le
respect de leur art, pour qu’il nous soit permis de croire que leur