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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
L’heure, le lieu et la saison, tout est exquis dans les origines de
cette légende. Cette terre d’Ombrie est privilégiée, grave et douce,
pénétrée de tendresse, avec la lumière virginale de ses purs horizons
qui semblent faits pour encadrer des sanctuaires et des ermitages.
L’amour s’y épanouit comme une fleur mystique sous l’aménité du
ciel méridional ; c’est en Ombrie et en Toscane qu’il donne la floraison
la plus spontanée et la plus belle. L’ordre des Serviles et des solitaires
de Vallombreuse, sainte Madeleine de Pazzi, saint Regnier de Pise
sainte Catherine et saint Bernardin de Sienne, sainte Rose de Viterbe,
sainte Zita de Lucques, sainte Marguerite de Cortone, saint François,
sainte Claire, saint Bonaventurey brillent en moins de deux siècles;
c’est un milieu prédestiné et un moment unique.
Dante et Giotto condensent en même temps dans des œuvres
immortelles les rayons épars de ce foyer dès longtemps préparé.
Dante, dans le xiR chant du Paradis, célèbre le mariage de saint
François avec la Pauvreté, veuve du Christ son premier mari, depuis
onze cents ans obscure et méprisée « quand il s’unit à elle... et de jour
en jour aima sa Dame plus fortement ». Et sur les murs de l’église
inférieure d’Assise, à côté du tombeau du bienheureux, Giotto traduit
presque littéralement le poème de son ami.
On ne saurait assez féliciter et remercier les éditeurs de nous
avoir donné dans ce volume tout ce que la légende de saint François
a inspiré au pinceau du maître ; ce sont ces reproductions qui font, à
vrai dire, l’intérêt supérieur du livre. O11 a là, sous sa forme la plus
sensible et la plus dramatique, tout le rêve mystique du moyen âge,
— dans la mesure exacte où ces visions surnaturelles peuvent
supporter la tyrannie des corps. L’inexpérience de la main du peintre,
dont on sent la lutte patiente contre l’expression rebelle, ajoute
encore à l’intensité de l'impression. Les tètes surtout sont souvent
maladroites, les mentons trop proéminents, les formes lourdes et
carrées ; mais les visages sont d’une gravité si pénétrée, les attitudes
sont si éloquentes, la mimique si spontanée et si profondément sincère,
il y a tant de vie et de vérité dans le groupement des figures, que
l’esprit n’a pas une hésitation. L’imagination doucement sollicitée
par l’appel grave et doux de ces âmes aimantes s’élève sans effort à
leur suite dans la patrie radieuse dont elles sont la promesse et la
vision réalisées. — Heure délicieuse, où l’on assiste à l’éclosion d’un
art et d’une beauté nouvelle ; où l’on devine sous l’application ardente
de l’artiste, les ravissements du rêve intérieur qui soutient son
courage et dirige sa main ; où l’on éprouve à chaque pas le bonheur
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
L’heure, le lieu et la saison, tout est exquis dans les origines de
cette légende. Cette terre d’Ombrie est privilégiée, grave et douce,
pénétrée de tendresse, avec la lumière virginale de ses purs horizons
qui semblent faits pour encadrer des sanctuaires et des ermitages.
L’amour s’y épanouit comme une fleur mystique sous l’aménité du
ciel méridional ; c’est en Ombrie et en Toscane qu’il donne la floraison
la plus spontanée et la plus belle. L’ordre des Serviles et des solitaires
de Vallombreuse, sainte Madeleine de Pazzi, saint Regnier de Pise
sainte Catherine et saint Bernardin de Sienne, sainte Rose de Viterbe,
sainte Zita de Lucques, sainte Marguerite de Cortone, saint François,
sainte Claire, saint Bonaventurey brillent en moins de deux siècles;
c’est un milieu prédestiné et un moment unique.
Dante et Giotto condensent en même temps dans des œuvres
immortelles les rayons épars de ce foyer dès longtemps préparé.
Dante, dans le xiR chant du Paradis, célèbre le mariage de saint
François avec la Pauvreté, veuve du Christ son premier mari, depuis
onze cents ans obscure et méprisée « quand il s’unit à elle... et de jour
en jour aima sa Dame plus fortement ». Et sur les murs de l’église
inférieure d’Assise, à côté du tombeau du bienheureux, Giotto traduit
presque littéralement le poème de son ami.
On ne saurait assez féliciter et remercier les éditeurs de nous
avoir donné dans ce volume tout ce que la légende de saint François
a inspiré au pinceau du maître ; ce sont ces reproductions qui font, à
vrai dire, l’intérêt supérieur du livre. O11 a là, sous sa forme la plus
sensible et la plus dramatique, tout le rêve mystique du moyen âge,
— dans la mesure exacte où ces visions surnaturelles peuvent
supporter la tyrannie des corps. L’inexpérience de la main du peintre,
dont on sent la lutte patiente contre l’expression rebelle, ajoute
encore à l’intensité de l'impression. Les tètes surtout sont souvent
maladroites, les mentons trop proéminents, les formes lourdes et
carrées ; mais les visages sont d’une gravité si pénétrée, les attitudes
sont si éloquentes, la mimique si spontanée et si profondément sincère,
il y a tant de vie et de vérité dans le groupement des figures, que
l’esprit n’a pas une hésitation. L’imagination doucement sollicitée
par l’appel grave et doux de ces âmes aimantes s’élève sans effort à
leur suite dans la patrie radieuse dont elles sont la promesse et la
vision réalisées. — Heure délicieuse, où l’on assiste à l’éclosion d’un
art et d’une beauté nouvelle ; où l’on devine sous l’application ardente
de l’artiste, les ravissements du rêve intérieur qui soutient son
courage et dirige sa main ; où l’on éprouve à chaque pas le bonheur