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GAZETTE DES BEAUX-AItTS.
fonctions essentielles l’imitation servile des chefs-d’œuvre de la pein-
ture. Le polissage et l’encaustiquage des mosaïques ont fait leur
temps. M. Guilbert Martin l’a compris, et nous l’en félicitons.
Si la reproduction des tableaux a été funeste à la mosaïque aux
xvne et xvme siècles, cet art est exposé aujourd’hui à un autre
danger. A l’effet de produire vite et à bon marché, on suit une sorte
de méthode industrielle; voici en quoi elle consiste : le motif est
dessiné sur un carton, le mosaïste prend ses cubes taillés très irré-
gulièrement en biseau du côté qui doit être planté dans le mastic, et
les colle sur le modèle la face sur le carton; on travaille donc à
l’envers sans avoir, comme en tapisserie, la faculté d’aller à chaque
moment examiner l’endroit. Le procédé convenable pour l'ornement
est des plus médiocres pour la figure, le mosaïste étant réduit au
rôle d’un ouvrier presque inconscient de son travail; les figures
ainsi obtenues sont plates, sans caractère, sans force; elles ne
portent ni la personnalité de l’auteur du carton ni celle du mosaïste.
Le grand sujet que M. Facchina a emprunté à l’œuvre de Tiepolo au
palais Fabia, de Venise, nous fournit un exemple de ce procédé de
décadence; la mosaïque est fade, embrouillée et sans style aucun;
elle n’accuse même pas le genre de Tiepolo et pourrait être tout aussi
bien de Véronèse ou du Tintoret. Le même reproche peut s’adresser
aux personnages d’après les mosaïques antérieures à la Renaissance;
le procédé sur le papier doit être absolument proscrit; les figures ne
peuvent être exécutées que directement si on veut qu’elles soient des
œuvres d’art. M. Facchina ne l’ignore pas, et s’il travaille sur le
papier, c’est qu’il y est obligé par les nécessités de son commerce; ce
fabricant a rendu des services à la mosaïque en la propageant; il
traite fort bien l’ornement et en a donné une nouvelle preuve par
un pavement d’après l’antique qui forme le sol de son exposition.
En résumé, en dépit des critiques, des résistances et des obstacles,
la mosaïque a fait en France son chemin aussi vite que peut le faire
une innovation en matière d’art. MM. Ch. Garnier, Revoil, Sédille,
Lameire, Bessières en font usage chaque fois que les dispensateurs
des commandes le permettent, dans les monuments et les maisons
dont la construction et la décoration leur sont confiées ; les artistes
et le public l’ont appréciée aussitôt qu’ils l’ont connue, et l’Etat l’a
prise sous sa haute protection. Les résultats obtenus sont aussi satis-
faisants que possible; il y a quelques années encore, tout dans les
mosaïques exécutées en France, les modèles exceptés, venait d’Italie,
mosaïstes et matériaux; aujourd’hui, M. Ch. Garnier pourrait, à
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fonctions essentielles l’imitation servile des chefs-d’œuvre de la pein-
ture. Le polissage et l’encaustiquage des mosaïques ont fait leur
temps. M. Guilbert Martin l’a compris, et nous l’en félicitons.
Si la reproduction des tableaux a été funeste à la mosaïque aux
xvne et xvme siècles, cet art est exposé aujourd’hui à un autre
danger. A l’effet de produire vite et à bon marché, on suit une sorte
de méthode industrielle; voici en quoi elle consiste : le motif est
dessiné sur un carton, le mosaïste prend ses cubes taillés très irré-
gulièrement en biseau du côté qui doit être planté dans le mastic, et
les colle sur le modèle la face sur le carton; on travaille donc à
l’envers sans avoir, comme en tapisserie, la faculté d’aller à chaque
moment examiner l’endroit. Le procédé convenable pour l'ornement
est des plus médiocres pour la figure, le mosaïste étant réduit au
rôle d’un ouvrier presque inconscient de son travail; les figures
ainsi obtenues sont plates, sans caractère, sans force; elles ne
portent ni la personnalité de l’auteur du carton ni celle du mosaïste.
Le grand sujet que M. Facchina a emprunté à l’œuvre de Tiepolo au
palais Fabia, de Venise, nous fournit un exemple de ce procédé de
décadence; la mosaïque est fade, embrouillée et sans style aucun;
elle n’accuse même pas le genre de Tiepolo et pourrait être tout aussi
bien de Véronèse ou du Tintoret. Le même reproche peut s’adresser
aux personnages d’après les mosaïques antérieures à la Renaissance;
le procédé sur le papier doit être absolument proscrit; les figures ne
peuvent être exécutées que directement si on veut qu’elles soient des
œuvres d’art. M. Facchina ne l’ignore pas, et s’il travaille sur le
papier, c’est qu’il y est obligé par les nécessités de son commerce; ce
fabricant a rendu des services à la mosaïque en la propageant; il
traite fort bien l’ornement et en a donné une nouvelle preuve par
un pavement d’après l’antique qui forme le sol de son exposition.
En résumé, en dépit des critiques, des résistances et des obstacles,
la mosaïque a fait en France son chemin aussi vite que peut le faire
une innovation en matière d’art. MM. Ch. Garnier, Revoil, Sédille,
Lameire, Bessières en font usage chaque fois que les dispensateurs
des commandes le permettent, dans les monuments et les maisons
dont la construction et la décoration leur sont confiées ; les artistes
et le public l’ont appréciée aussitôt qu’ils l’ont connue, et l’Etat l’a
prise sous sa haute protection. Les résultats obtenus sont aussi satis-
faisants que possible; il y a quelques années encore, tout dans les
mosaïques exécutées en France, les modèles exceptés, venait d’Italie,
mosaïstes et matériaux; aujourd’hui, M. Ch. Garnier pourrait, à