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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
elles relèvent de systèmes encore mal digérés : ceci est affaire au Théâtre-
Lyrique — quand il y aura un Théâtre-Lyrique.
La presse n’a pas ménagé les conseils à MM. Ritt et Gailhard; je viens à
mon tour enrichir leur panier de quelques avis dont l’efficacité ne me semble
pas douteuse, cela va sans dire.
Le premier conseil que je donnerai aux directeurs de l’Opéra, ce sera de
mettre à la retraite le plus possible de leur personnel dirigeant. Je dis :
mettre à la retraite, par respect pour les droits acquis par de longues années
de service ; dans bien des cas, il suffira de changer des employés notoirement
incapables, et comme tels indifférents au succès de l’entreprise, pour ne
pas dire hostiles.
En second lieu, je conseillerai le retour à la simplicité. Depuis un certain
nombre d’années, l’Académie nationale de musique, désireuse sans doute de
justifier son titre, a introduit dans l’interprétation lyrique de son répertoire
une solennité prétentieuse dont l’effet est intolérable.
Cette fausse grandeur peut en imposer une fois aux spectateurs naïfs et
leur faire croire que l’Art a établi son trône sous la coupole de l’Opéra et
qu’il y siège dans toute sa majesté. A l’user, on aperçoit vite le néant de
cette pompe de commande et l’ennui, un ennui mortel, s’empare des specta-
teurs pour ne plus les quitter. La responsabilité de cette interprétation et
des conséquences déplorables qu’elle entraîne retombe sur deux chanteurs
qui pourtant furent de grands artistes. Mmc Stolz et Dupré, doués l’un et
l'autre de voix admirables et de poumons de fer, ont créé le poussage (le
terme est admis) dans les morceaux chantés et l’élongation du récitatif en
interminables périodes débitées avec emphase et sur le plein de la voix. La
tradition de ce style ampoulé, aussi fatigant pour celui qui en use que pour
celui qui écoute, est pieusement conservée à l’Opéra par de bonnes gens
qui croient avoir monopolisé la belle déclamation lyrique. Cette tradition
et ceux qui la conservent doivent disparaître, si l’on veut relever ce
théâtre en lui restituant le caractère d’un lieu de récréation. Nous ne voyons
pas d’autre manière d’y ramener la foule, maintenant que l’escalier de
M. Garnier a cessé de faire recette.
Le jour où les chanteurs seront dispensés de pontifier tout au long de
leur rôle, peut-être sera-t-il permis d’exiger d’eux qu’ils sachent chanter les
parties expressives. A peu d’exceptions près, l’art du chant a cessé de fleurir
dans ce milieu qui fut autrefois si propice à l’éclosion des grands artistes.
Le métier de chanteur y est compris à la façon de tout autre métier ; pourvu
qu’on le remplisse sans défaillance jusqu’à la chute du rideau, on n’est pas
loin de passer, à ses propres yeux, pour un sujet remarquable : une voix
solide et d’un timbre supportable tient lieu de talent, de savoir, d’intelligence
dramatique et de sentiment. Le public n’est pas de cet avis, il se tait, reste
froid ; l’acteur en arrive à oublier le bruit des applaudissements, mais la
caisse du théâtre se répand en largesses qui s’étalent comme un baume sur
les blessures de son amour-propre et les lui font oublier.
Et quelles largesses ! Vraiment on sourit de pitié à voir la folle prodigalité
où les directeurs de théâtre se sont laissé entraîner. N’a-t-on pas imprimé
ces jours-ci qu’un imprésario bien connu donne 500,000 francs au baryton
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
elles relèvent de systèmes encore mal digérés : ceci est affaire au Théâtre-
Lyrique — quand il y aura un Théâtre-Lyrique.
La presse n’a pas ménagé les conseils à MM. Ritt et Gailhard; je viens à
mon tour enrichir leur panier de quelques avis dont l’efficacité ne me semble
pas douteuse, cela va sans dire.
Le premier conseil que je donnerai aux directeurs de l’Opéra, ce sera de
mettre à la retraite le plus possible de leur personnel dirigeant. Je dis :
mettre à la retraite, par respect pour les droits acquis par de longues années
de service ; dans bien des cas, il suffira de changer des employés notoirement
incapables, et comme tels indifférents au succès de l’entreprise, pour ne
pas dire hostiles.
En second lieu, je conseillerai le retour à la simplicité. Depuis un certain
nombre d’années, l’Académie nationale de musique, désireuse sans doute de
justifier son titre, a introduit dans l’interprétation lyrique de son répertoire
une solennité prétentieuse dont l’effet est intolérable.
Cette fausse grandeur peut en imposer une fois aux spectateurs naïfs et
leur faire croire que l’Art a établi son trône sous la coupole de l’Opéra et
qu’il y siège dans toute sa majesté. A l’user, on aperçoit vite le néant de
cette pompe de commande et l’ennui, un ennui mortel, s’empare des specta-
teurs pour ne plus les quitter. La responsabilité de cette interprétation et
des conséquences déplorables qu’elle entraîne retombe sur deux chanteurs
qui pourtant furent de grands artistes. Mmc Stolz et Dupré, doués l’un et
l'autre de voix admirables et de poumons de fer, ont créé le poussage (le
terme est admis) dans les morceaux chantés et l’élongation du récitatif en
interminables périodes débitées avec emphase et sur le plein de la voix. La
tradition de ce style ampoulé, aussi fatigant pour celui qui en use que pour
celui qui écoute, est pieusement conservée à l’Opéra par de bonnes gens
qui croient avoir monopolisé la belle déclamation lyrique. Cette tradition
et ceux qui la conservent doivent disparaître, si l’on veut relever ce
théâtre en lui restituant le caractère d’un lieu de récréation. Nous ne voyons
pas d’autre manière d’y ramener la foule, maintenant que l’escalier de
M. Garnier a cessé de faire recette.
Le jour où les chanteurs seront dispensés de pontifier tout au long de
leur rôle, peut-être sera-t-il permis d’exiger d’eux qu’ils sachent chanter les
parties expressives. A peu d’exceptions près, l’art du chant a cessé de fleurir
dans ce milieu qui fut autrefois si propice à l’éclosion des grands artistes.
Le métier de chanteur y est compris à la façon de tout autre métier ; pourvu
qu’on le remplisse sans défaillance jusqu’à la chute du rideau, on n’est pas
loin de passer, à ses propres yeux, pour un sujet remarquable : une voix
solide et d’un timbre supportable tient lieu de talent, de savoir, d’intelligence
dramatique et de sentiment. Le public n’est pas de cet avis, il se tait, reste
froid ; l’acteur en arrive à oublier le bruit des applaudissements, mais la
caisse du théâtre se répand en largesses qui s’étalent comme un baume sur
les blessures de son amour-propre et les lui font oublier.
Et quelles largesses ! Vraiment on sourit de pitié à voir la folle prodigalité
où les directeurs de théâtre se sont laissé entraîner. N’a-t-on pas imprimé
ces jours-ci qu’un imprésario bien connu donne 500,000 francs au baryton