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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 31.1885

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Nr. 2
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Fourcaud, Louis de: Jules Bastien-Lepage: artistes contemporains
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https://doi.org/10.11588/diglit.24592#0114

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106

GAZETTE DES BEAUX-AllTS.

Hier, elles possédaient le soleil, ces prunelles! Elles absorbaient
la nature entière et toiqs ses spectacles sous leur voile de chair, ces
paupières! L’active pénétration de cette vue allait surprendre la vie
intime au profond des choses. On donnait à ce peintre un morceau
de planche ou un lambeau d’étoffe, il y faisait palpiter ce qui l’avait
ému. Sa vitalité abondante s’est versée dans ses ouvrages et jamais
ils n’ont paru si vivants que depuis qu’il est mort. Je 11e pense pas
qu’il y ait nulle part une plus parlante image de l’homme foudroyé,
anéanti, quand sa pensée, inébranlable en ses créations, proteste
contre le néant.

Le poète peut poser sa tète sur ses poèmes, le musicien sur ses
symphonies. Leur génie n’a fait explosion que dans la cervelle ou
dans le cœur des hommes. L’art du peintre, plus extérieur, a vaincu,
charmé, conquis les yeux du passant. Sa puissance s’atteste là où celle
des autres arts s’efface et se contient. Parce que le maître de la
palette éclaire ses drames d’une lumière humaine supérieure, parce
qu’il coule son âme dans les formes qu’il reproduit, on est tenté de le
croire au-dessus de la mort. Son cadavre étonne douloureusement :
011 croit à une erreur du destin; on s’imagine presque qu’il va se
lever, reprendre fébrilement les pinceaux, inonder encore d’air fluide
et de vérité les mille ébauches, tournées contre la muraille, rêves
endormis comme lui et qui attendent son réveil.

Hélas! nous suivions, il y a un mois à peine, les funérailles de
Jules Bastien-Lepage comme nous suivions, naguère, celles d’Edouard
Manet et, à la dernière saison, celles de Joseph de Nittis. Depuis
deux ans, un mal inconnu le rongeait, autorisant parfois les illusions,
mais non les espérances. Il s’en est allé, un soir d’hiver, le 10 dé-
cembre 1884, originale et mélancolique figure qui sera haute devant
la postérité. Je le connaissais de longue date, je l’admirais et je
l’aimais. C’était un maître par le talent, un homme par le caractère,
et je 11e puis évoquer ici sans attendrissement cette belle jeunesse si
têt flétrie, si tôt fauchée. L’auteur des Foins et de la Récolte des
pommes de terre ne venait que d’atteindre sa trente-sixième année.
Quel grand deuil pour l’école française !

Nos relations s’étaient nouées, par aventure, dans une soirée
banale, au lendemain de son premier concours pour le prix de Rome.
L’Académie, cette année-là, avait donné ce sujet aux concurrents :
P) dam aux pieds d Achille. Il me souvient du Priam de Bastien-Lepage,
vu de dos, couvert d’un ample et riche manteau noir rehaussé
d’ornements d’or, ses longs cheveux blancs ruisselant de son diadème,
 
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