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GAZETTE DES BEAUX-AIITS.
architecte du xme siècle, auquel on attribue la construction du chœur
de l’ancienne cathédrale de Cambrai1. Ces croquis comprennent
la mécanique, la géométrie, la coupe des pierres, la charpente,
F ameublement, l’orfèvrerie, le dessin des figures et des ornements.
Yillard de Honnecourt ne dédaigne même pas les recettes médicales,
quand elles sont bonnes et peuvent être utilisées en cas d’accidents
sur les chantiers.
C’est de l’architecte que le peintre et le sculpteur apprenaient les
lois des compositions équilibrées. Il traçait au tailleur de pierres les
divisions de l’appareil en raison de la résistance de chaque morceau
et suivant la forme des sculptures ou des moulures; il donnait le
dessin des meubles en tenant compte des assemblages et des dimensions
des bois. Il esquissait les figures et les ornements destinés à la déco-
ration des surfaces. La peinture murale, la mosaïque, le vitrail, le
tissu n’échappaient point à son influence salutaire.
A cette époque, le tableau, destiné à donner l’illusion d’une
figure, d’un paysage ou d’une scène, n’avait point d’application dans
la décoration monumentale. Les artistes français comprenaient
autrement la composition décorative. Ils ignoraient d’ailleurs les
lois de la perspective linéaire et aérienne, et on pourrait presque les
féliciter de leur ignorance : car elle les a garantis des erreurs qu’a
causées l’imitation exacte mais irréfléchie de la nature. La surface
n’est plus décorée quand l’œil du spectateur la traverse pour
atteindre un horizon lointain par une succession de plans.
Depuis le xne jusqu’au xvie siècle, la décoration s’est maintenue
sur la surface elle-même opaque ou translucide, et il n’est pas sans
intérêt de remarquer les rapports qui existent, au commencement du
xvie siècle, entre les tapisseries et les vitraux. La cathédrale d’Angers,
la cathédrale et l’église Saint-Rémi de Reims ont encore de remar-
quables tapisseries de cette époque, où les personnages, dessinés par
des sertis de laine brune, se détachent sur des fonds bleus ou rouges,
garnis de fleurettes ou d’ornements. Les verrières de la nef à la
cathédrale de Troyes ont une disposition analogue : les personnages,
sertis par les plombs, s’enlèvent aussi sur des fonds bleus ou rouges,
unis ou damassés.
Ainsi, au moment même où l’imitation de la nature modifiait les
principes de la composition et le caractère du dessin, les artistes
1. Bibliothèque nationale. Manuscrit latin coté SG, 1104. Publié par
J.-B. A. Lassus. Paris, 1858.
GAZETTE DES BEAUX-AIITS.
architecte du xme siècle, auquel on attribue la construction du chœur
de l’ancienne cathédrale de Cambrai1. Ces croquis comprennent
la mécanique, la géométrie, la coupe des pierres, la charpente,
F ameublement, l’orfèvrerie, le dessin des figures et des ornements.
Yillard de Honnecourt ne dédaigne même pas les recettes médicales,
quand elles sont bonnes et peuvent être utilisées en cas d’accidents
sur les chantiers.
C’est de l’architecte que le peintre et le sculpteur apprenaient les
lois des compositions équilibrées. Il traçait au tailleur de pierres les
divisions de l’appareil en raison de la résistance de chaque morceau
et suivant la forme des sculptures ou des moulures; il donnait le
dessin des meubles en tenant compte des assemblages et des dimensions
des bois. Il esquissait les figures et les ornements destinés à la déco-
ration des surfaces. La peinture murale, la mosaïque, le vitrail, le
tissu n’échappaient point à son influence salutaire.
A cette époque, le tableau, destiné à donner l’illusion d’une
figure, d’un paysage ou d’une scène, n’avait point d’application dans
la décoration monumentale. Les artistes français comprenaient
autrement la composition décorative. Ils ignoraient d’ailleurs les
lois de la perspective linéaire et aérienne, et on pourrait presque les
féliciter de leur ignorance : car elle les a garantis des erreurs qu’a
causées l’imitation exacte mais irréfléchie de la nature. La surface
n’est plus décorée quand l’œil du spectateur la traverse pour
atteindre un horizon lointain par une succession de plans.
Depuis le xne jusqu’au xvie siècle, la décoration s’est maintenue
sur la surface elle-même opaque ou translucide, et il n’est pas sans
intérêt de remarquer les rapports qui existent, au commencement du
xvie siècle, entre les tapisseries et les vitraux. La cathédrale d’Angers,
la cathédrale et l’église Saint-Rémi de Reims ont encore de remar-
quables tapisseries de cette époque, où les personnages, dessinés par
des sertis de laine brune, se détachent sur des fonds bleus ou rouges,
garnis de fleurettes ou d’ornements. Les verrières de la nef à la
cathédrale de Troyes ont une disposition analogue : les personnages,
sertis par les plombs, s’enlèvent aussi sur des fonds bleus ou rouges,
unis ou damassés.
Ainsi, au moment même où l’imitation de la nature modifiait les
principes de la composition et le caractère du dessin, les artistes
1. Bibliothèque nationale. Manuscrit latin coté SG, 1104. Publié par
J.-B. A. Lassus. Paris, 1858.