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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 31.1885

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Nr. 4
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Michel, André: L' exposition d'Eugène Delacroix à l'École des Beaux-Arts
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https://doi.org/10.11588/diglit.24592#0304

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290

GAZETTE DES BEAUX-A11TS.

« Fou », « sauvage tatoué», « faiseur de farfouillades », halluciné qui
peint « avec un balai ivre », voilà, entre cent autres, quelques-unes des
épithètes que — sans vouloir les effacer de l’histoire ! — nous avons
le devoir de rétracter aujourd'hui. Les plus polis, comme Delescluze,
blâmaient dans les ouvrages de l’hérétique novateur « des scènes
sans clarté où Limitation du naturel exclut sans cesse les conve-
nances du goût ». — « Yoilà trente ans que je suis livré aux bêtes »,
disait-il tristement à Théophile Sylvestre, un jour qu’entré inco-
gnito dans la salle des ventes de la rue des Jeûneurs, il entendait
les réflexions du public devant son H ami et.

Elevons-lni donc un monument expiatoire', mais avant tout,
prouvons, par notre respect intelligent de son œuvre, que notre
hommage n’est pas une vaine cérémonie. Au lieu de le reléguer dans
les cambuses du Musée de marine, étuves insalubres à peine bonnes à
loger les pires Bolonais, réservons-lui une place d’honneur; mettons
ses tableaux à l’abri des chances de destruction ; exposons-les en bon
jour, et dans la même salle; tout en haut, alignons aux murs les
grandes machines des élèves de David, afin que d'un seul regard le
visiteur puisse mesurer la grandeur de l’homme et la profondeur de
l’ornière d’où il retira l’art français.

Pour ceux qui n’ont pu voir qu’aux bras de leur nourrice cette
mémorable exposition de 1855 qui fut la première revanche de
Delacroix, l’œuvre aujourd'hui rassemblé à l’École des beaux-arts
est riche en surprises et en enseignements. Nous sentons bien vite,
dès le seuil franchi, que nous entrons dans un monde très diffe-
rent de celui où l’art d’aujourd’hui nous a habitués à vivre; mais
nous n’avons pourtant besoin d’aucune érudition pour nous y re-
trouver. Une fièvre d’admiration nous gagne lentement ; il se dégage
de chacun de ces cadres on ne sait quels effluves magnétiques, quels 1

1. Quelques personnes ont cru voir dans une.,phrase du testament de Delacroix
une insurmontable objection à tout projet de statue. Il nous paraît cependant
indubitable qu’en écrivant : « Après ma mort, il ne sera fait aucune reproduction
de mes traits, soit par le moulage, soit par dessin ou photographie; je le défends
expressément », le maître a simplement voulu empêcher qu’on ne représentât son
visage dans l’immobilité et la déformation de la mort. De même qu’il avait voulu
mourir seul et écarter tout témoin de son agonie, il prenait ses précautions
contre les curiosités indiscrètes, qu’il considérait comme des profanations. On
reconnaît là sa discrétion à la Mérimée ou à la Stendald, sa réserve un peu hau-
taine et d’une distinction suprême. Il fut toute sa vie, et jusqu'après sa mort, très
méticuleux sur les questions de « tenue » et partisan d’un certain « dandysme ».
Nous ne croyons pas qu’il eût refusé une statue, s’il eût pu prévoir que la pos-
térité, pour laquelle il se déclarait « plein de respect », la lui élèverait un jour.
 
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