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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
est beaucoup plus intéressant à cause du paysage magnifique qui
l’enveloppe. Ce paysage montagneux et lumineux, composé, dit la
tradition, d’après ses études faites en Terre-Sainte, est d’une solen-
nité éclatante, qui annonce Claude et Poussin. Il est difficile de ne
pas penser à notre. Nicolas devant ce tableau du vieux Hollandais;
ce sont les mêmes dimensions, les mêmes proportions, les mêmes
recherches classiques et sculpturales dans les attitudes des hommes
et dans la grâce des femmes, le même enthousiasme pour les grandes
lumières diffuses. On n’ose guère penser que Poussin ait vu des
Schoorel en Italie bien qu’il s’en trouvât dans quelques galeries;
mais ce n’est pas la première fois qu’à travers les siècles se révèlent
des parentés d’intelligence singulières 1.
Marten Jacobs van Heemskerk, on le sait, se lança dans l’ultra-
montanisme avec moins de prudence que son maître. Fils de paysan,
nourri dans les champs, il s’enivra des vins capiteux de l’aristo-
cratique Italie avec la gloutonnerie robuste d’un rustaud mal éduqué.
Michel-Ange n’a guère eu, par moments, deparodiste plus grimacier
ni plus grotesque. Ce gymnasiarque extravagant a pourtant ses
bonnes heures. Malgré tout, c’est un tempérament vigoureux, un
metteur en scène infatigable, un praticien hardi. Avec toutes ses
lourdeurs, avec tous ses plagiats, il trouve par instants des impé-
tuosités d’attitudes qui surprennent, des franchises de physionomies
qui rassurent, des ardeurs de colorations qui émeuvent : bref, il a
déjà du Rubens dans le sang. On s’en aperçoit bien au Musée de
Bruxelles, mais cela ne m’a jamais plus frappé qu’à Harlem. Je ne
parle pas du Saint Luc peignant la Vierge, portrait prétentieux et
grossier de son boulanger, figure vraiment drolatique avec son
bonnet phrygien, sa houppelande bariolée, ses grosses besicles, qui
l’excuse tout à fait d’être allé en Italie chercher quelques leçons de
style, de dessin, de peinture. Je ne parle pas de la Madonna di
Loreto, copiée à Rome en 1551, avec une rusticité terrible, ni de
la grisaille du Serpent d’airain, où quelques fous furieux tordent
maladroitement, en des poses convulsives, leurs membres hyper-
trophiés, ni du Jésus couronné d'épines, variante brutale et répulsive
d’un de ses thèmes favoris ; je m’en tiens au grand triptyque, prove-
1. Dans la première moitié du xvie siècle, TAnonimo de Morelli cite plusieurs
tableaux de Schoorel conservés à Venise : la Submersion de Pharaon, in Casa Zio;
la Vierge en Égypte, in Casa Ram ; la Vierge et saint Joseph, in Casa Vendramin
(Notizia d’Opere di disegno, etc. Seconda edizione per cura di G. Frizzoni,
Bologna. 1884).
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
est beaucoup plus intéressant à cause du paysage magnifique qui
l’enveloppe. Ce paysage montagneux et lumineux, composé, dit la
tradition, d’après ses études faites en Terre-Sainte, est d’une solen-
nité éclatante, qui annonce Claude et Poussin. Il est difficile de ne
pas penser à notre. Nicolas devant ce tableau du vieux Hollandais;
ce sont les mêmes dimensions, les mêmes proportions, les mêmes
recherches classiques et sculpturales dans les attitudes des hommes
et dans la grâce des femmes, le même enthousiasme pour les grandes
lumières diffuses. On n’ose guère penser que Poussin ait vu des
Schoorel en Italie bien qu’il s’en trouvât dans quelques galeries;
mais ce n’est pas la première fois qu’à travers les siècles se révèlent
des parentés d’intelligence singulières 1.
Marten Jacobs van Heemskerk, on le sait, se lança dans l’ultra-
montanisme avec moins de prudence que son maître. Fils de paysan,
nourri dans les champs, il s’enivra des vins capiteux de l’aristo-
cratique Italie avec la gloutonnerie robuste d’un rustaud mal éduqué.
Michel-Ange n’a guère eu, par moments, deparodiste plus grimacier
ni plus grotesque. Ce gymnasiarque extravagant a pourtant ses
bonnes heures. Malgré tout, c’est un tempérament vigoureux, un
metteur en scène infatigable, un praticien hardi. Avec toutes ses
lourdeurs, avec tous ses plagiats, il trouve par instants des impé-
tuosités d’attitudes qui surprennent, des franchises de physionomies
qui rassurent, des ardeurs de colorations qui émeuvent : bref, il a
déjà du Rubens dans le sang. On s’en aperçoit bien au Musée de
Bruxelles, mais cela ne m’a jamais plus frappé qu’à Harlem. Je ne
parle pas du Saint Luc peignant la Vierge, portrait prétentieux et
grossier de son boulanger, figure vraiment drolatique avec son
bonnet phrygien, sa houppelande bariolée, ses grosses besicles, qui
l’excuse tout à fait d’être allé en Italie chercher quelques leçons de
style, de dessin, de peinture. Je ne parle pas de la Madonna di
Loreto, copiée à Rome en 1551, avec une rusticité terrible, ni de
la grisaille du Serpent d’airain, où quelques fous furieux tordent
maladroitement, en des poses convulsives, leurs membres hyper-
trophiés, ni du Jésus couronné d'épines, variante brutale et répulsive
d’un de ses thèmes favoris ; je m’en tiens au grand triptyque, prove-
1. Dans la première moitié du xvie siècle, TAnonimo de Morelli cite plusieurs
tableaux de Schoorel conservés à Venise : la Submersion de Pharaon, in Casa Zio;
la Vierge en Égypte, in Casa Ram ; la Vierge et saint Joseph, in Casa Vendramin
(Notizia d’Opere di disegno, etc. Seconda edizione per cura di G. Frizzoni,
Bologna. 1884).