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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
roulée sur l’épaule, un beau porte-fanion ; ce sera le personnage
favori de Hais, celui qui lui servira de prétexte à lancer ses notes
les plus éclatantes. Costumes très simples, d’ailleurs : des justau-
corps blancs ou noirs ; des chapeaux de feutre noir à petits bords,
pas d’écharpes en bandoulière. C’est un peu plus tard, après la
grande lutte, que les citoyens-soldats, en se faisant peindre, affec-
teront quelquefois des airs cérémonieux ou qu’ils paraderont en
costumes luxueux. Ce qui frappe chez eux, ici, c’est l’air de bonhomie
sérieuse avec lequel ils s’empilent dans la toile étroite et s’arrangent
déjà en groupes vivants et naturels. Le jeune homme, imberbe et
gras, qui pose une main sur son cœur en serrant celle de son voisin
sous le geste encourageant d’un vieillard qui les pousse Lun vers
l’autre, représente une de ces scènes de réconciliation patriotique
entre gentilshommes et plébéiens probablement fréquentes dans cette
période héroïque. On la retrouvera plus tard chez Van der Helst et
chez d’autres. De même, au fond, le groupe des buveurs altérés est
un groupe bien hollandais ; le gros gaillard au chapeau enfoncé sur
l’oreille qui plonge un regard mélancolique au fond de sa chope vide,
celui qui tend son verre au servant affairé, tous les causeurs animés
autour d’eux montrent ce que l’académicien Cornelis eût su faire s’il
était demeuré sur son terrain naturel. La facture, il est vrai, est
égale, molle et lisse. Cornelis pense à Bronzino, pense aux Bolonais,
pense peut-être à Federigo Zucchero qu’il avait pu connaître à
Harlem vers 1570, mais cette pensée ne lui est pas toujours fatale;
car, si elle lui enlève un peu de la précision minutieuse encore en
usage chez ses compatriotes plus fidèles aux traditions de Van Eyck
et de Lucas de Leyde, elle donne, en revanche, à son dessin une
ampleur tranquille et grave, à sa touche une liberté souple et aisée
qui nous mènent assez vite à la pratique du xviie siècle. Mierevelt,
Morelsee, Ravesteyn lui sont bien supérieurs comme portraitistes ;
cependant Cornelis, comme sans doute Karl van Mander, son collègue,
le maître de Hais, apporte, à côté de leurs analyses un peu sèches,
une liberté plus vive qui ne sera pas inutile à la formation de la
génération prochaine. Le Repas d'officiers de 1599 ne vaut pas
celui de 1583. C’est plus dégagé, peut-être, mais plus négligé et plus
lâché. En vieillissant, Cornelis s’amollit et s’affadit de plus en plus.
Dans ce banquet de douze convives où les victuailles abondent, la
salle, éclairée au fond par une fenêtre ouverte sur la campagne,
semble déjà celle où Hais trouvera plus tard réunis ses bons buveurs.
Quelques têtes y sont graves et belles, parfois même d’une coloration
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
roulée sur l’épaule, un beau porte-fanion ; ce sera le personnage
favori de Hais, celui qui lui servira de prétexte à lancer ses notes
les plus éclatantes. Costumes très simples, d’ailleurs : des justau-
corps blancs ou noirs ; des chapeaux de feutre noir à petits bords,
pas d’écharpes en bandoulière. C’est un peu plus tard, après la
grande lutte, que les citoyens-soldats, en se faisant peindre, affec-
teront quelquefois des airs cérémonieux ou qu’ils paraderont en
costumes luxueux. Ce qui frappe chez eux, ici, c’est l’air de bonhomie
sérieuse avec lequel ils s’empilent dans la toile étroite et s’arrangent
déjà en groupes vivants et naturels. Le jeune homme, imberbe et
gras, qui pose une main sur son cœur en serrant celle de son voisin
sous le geste encourageant d’un vieillard qui les pousse Lun vers
l’autre, représente une de ces scènes de réconciliation patriotique
entre gentilshommes et plébéiens probablement fréquentes dans cette
période héroïque. On la retrouvera plus tard chez Van der Helst et
chez d’autres. De même, au fond, le groupe des buveurs altérés est
un groupe bien hollandais ; le gros gaillard au chapeau enfoncé sur
l’oreille qui plonge un regard mélancolique au fond de sa chope vide,
celui qui tend son verre au servant affairé, tous les causeurs animés
autour d’eux montrent ce que l’académicien Cornelis eût su faire s’il
était demeuré sur son terrain naturel. La facture, il est vrai, est
égale, molle et lisse. Cornelis pense à Bronzino, pense aux Bolonais,
pense peut-être à Federigo Zucchero qu’il avait pu connaître à
Harlem vers 1570, mais cette pensée ne lui est pas toujours fatale;
car, si elle lui enlève un peu de la précision minutieuse encore en
usage chez ses compatriotes plus fidèles aux traditions de Van Eyck
et de Lucas de Leyde, elle donne, en revanche, à son dessin une
ampleur tranquille et grave, à sa touche une liberté souple et aisée
qui nous mènent assez vite à la pratique du xviie siècle. Mierevelt,
Morelsee, Ravesteyn lui sont bien supérieurs comme portraitistes ;
cependant Cornelis, comme sans doute Karl van Mander, son collègue,
le maître de Hais, apporte, à côté de leurs analyses un peu sèches,
une liberté plus vive qui ne sera pas inutile à la formation de la
génération prochaine. Le Repas d'officiers de 1599 ne vaut pas
celui de 1583. C’est plus dégagé, peut-être, mais plus négligé et plus
lâché. En vieillissant, Cornelis s’amollit et s’affadit de plus en plus.
Dans ce banquet de douze convives où les victuailles abondent, la
salle, éclairée au fond par une fenêtre ouverte sur la campagne,
semble déjà celle où Hais trouvera plus tard réunis ses bons buveurs.
Quelques têtes y sont graves et belles, parfois même d’une coloration