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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
détails qu’il était facile de faire disparaître, et Ton ne peut les accuser d’avoir
entraîné la chute de l’ouvrage.
La vérité est que M. Paladilhe, en remettant sa partition à T Opéra-
Comique, s’est trompé de porte comme l’avait fait M. Pessard le jour où il
confia son Tabarin au théâtre de l’Opéra : un chassé-croisé des deux
partitions les eût ramenées à la place qui leur convenait et peut-être pour
le plus grand bien de Tune et de l’autre. La musique de Diana a semblé
bruyante, tourmentée et prétentieuse; le compositeur n’est pas dépourvu
d’idées mélodiques, mais il les gâte par un ton emphatique qui devient
bientôt insupportable; il semble que le succès de la Mandolinata, cette jolie
chansonnette italienne qui a popularisé son nom, lui pèse et qu’il veuille
l’expier en s’imposant la discipline d’un contre-point acharné. Le public
n’a pas voulu s’associer à ce régime austère ; est-on en droit de le lui
reprocher ? Il a applaudi partout où il y avait lieu de le faire, par exemple
un final bien conduit et dramatique, certaines parties d’un duo de ténor et
soprano, et la romance finale du baryton ; il a fait enfin un excellent accueil
aux chanteurs : Mlle Mezeray, MM. Talazac etTaskin.
Le Chevalier Jean, de M. Joncières, a rapidement pris la place de Diana
sur l’affiche de l’Opéra-Comique, et il y a tout lieu de croire qu’il la gardera
pendant un certain temps. Ce n’est pas que l’ouvrage vaille mieux, je croirais
plutôt le contraire ; mais l’auteur de Dimitri a une certaine habitude du
théâtre qui lui donne prise sur le public, et puis, si fervent apôtre qu’il soit
de la foi nouvelle, il sait apporter dans la pratique une aimable tolérance
dont, pour ma part, je lui sais un gré infini. La musique de M. Joncières
n’excommunie personne.; l’ancienne doctrine ne le révolte pas outre mesure.
Dans le Chevalier Jean, les dilettantes arriérés peuvent entendre des
cavatines et des morceaux concertants coupés dans les formes conven-
tionnelles; nous y avons même retrouvé le fameux sextuor avec chœur
imaginé par Donizetti et que tant d’autres lui ont emprunté. Toute
l’intransigeance de M. Joncières consiste à relier les membres essentiels de
son œuvre par des récitatifs mesurés, bien nourris à l’orchestre, faisant
corps et pour ainsi dire subintrants. Comme il n’y a pas de parlés, l’auditeur
ne peut compter sur aucune rémittence pour goûter quelque repos ; il est
pris comme dans un engrenage qui l’entraîne, bon gré, mal gré, jusqu’à la
chute du rideau. Est-ce un progrès? Je me le demande sans oser me faire
une réponse ; il y a peut-être un pensum à encourir, si j’exprimais nettement
ma pensée.
On est fondé à reprocher à M. Joncières le manque d’originalité de ses
idées; sa musique est une musique d’écho, il semble presque toujours qu’on
Tait entendue quelque part, et trop souvent la provenance exacte ne laisse
aucun doute dans l’esprit. Faut-il ajouter qu’il abuse des fanfares et des
modulations? A ces défauts qu'il partage avec toute la nouvelle école,
s’ajoute la manie, singulièrement agaçante, d’éviter la tonique en concluant
un morceau. On s’est tant servi dans ces derniers temps de tous ces procédés
de facture, sous prétexte d’éviter la banalité, qu’ils forment à leur tour un
ensemble de « formes conventionnelles » beaucoup plus insipides et irritantes
que les anciennes. Celles-ci avaient au moins le mérite de la simplicité; elles
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
détails qu’il était facile de faire disparaître, et Ton ne peut les accuser d’avoir
entraîné la chute de l’ouvrage.
La vérité est que M. Paladilhe, en remettant sa partition à T Opéra-
Comique, s’est trompé de porte comme l’avait fait M. Pessard le jour où il
confia son Tabarin au théâtre de l’Opéra : un chassé-croisé des deux
partitions les eût ramenées à la place qui leur convenait et peut-être pour
le plus grand bien de Tune et de l’autre. La musique de Diana a semblé
bruyante, tourmentée et prétentieuse; le compositeur n’est pas dépourvu
d’idées mélodiques, mais il les gâte par un ton emphatique qui devient
bientôt insupportable; il semble que le succès de la Mandolinata, cette jolie
chansonnette italienne qui a popularisé son nom, lui pèse et qu’il veuille
l’expier en s’imposant la discipline d’un contre-point acharné. Le public
n’a pas voulu s’associer à ce régime austère ; est-on en droit de le lui
reprocher ? Il a applaudi partout où il y avait lieu de le faire, par exemple
un final bien conduit et dramatique, certaines parties d’un duo de ténor et
soprano, et la romance finale du baryton ; il a fait enfin un excellent accueil
aux chanteurs : Mlle Mezeray, MM. Talazac etTaskin.
Le Chevalier Jean, de M. Joncières, a rapidement pris la place de Diana
sur l’affiche de l’Opéra-Comique, et il y a tout lieu de croire qu’il la gardera
pendant un certain temps. Ce n’est pas que l’ouvrage vaille mieux, je croirais
plutôt le contraire ; mais l’auteur de Dimitri a une certaine habitude du
théâtre qui lui donne prise sur le public, et puis, si fervent apôtre qu’il soit
de la foi nouvelle, il sait apporter dans la pratique une aimable tolérance
dont, pour ma part, je lui sais un gré infini. La musique de M. Joncières
n’excommunie personne.; l’ancienne doctrine ne le révolte pas outre mesure.
Dans le Chevalier Jean, les dilettantes arriérés peuvent entendre des
cavatines et des morceaux concertants coupés dans les formes conven-
tionnelles; nous y avons même retrouvé le fameux sextuor avec chœur
imaginé par Donizetti et que tant d’autres lui ont emprunté. Toute
l’intransigeance de M. Joncières consiste à relier les membres essentiels de
son œuvre par des récitatifs mesurés, bien nourris à l’orchestre, faisant
corps et pour ainsi dire subintrants. Comme il n’y a pas de parlés, l’auditeur
ne peut compter sur aucune rémittence pour goûter quelque repos ; il est
pris comme dans un engrenage qui l’entraîne, bon gré, mal gré, jusqu’à la
chute du rideau. Est-ce un progrès? Je me le demande sans oser me faire
une réponse ; il y a peut-être un pensum à encourir, si j’exprimais nettement
ma pensée.
On est fondé à reprocher à M. Joncières le manque d’originalité de ses
idées; sa musique est une musique d’écho, il semble presque toujours qu’on
Tait entendue quelque part, et trop souvent la provenance exacte ne laisse
aucun doute dans l’esprit. Faut-il ajouter qu’il abuse des fanfares et des
modulations? A ces défauts qu'il partage avec toute la nouvelle école,
s’ajoute la manie, singulièrement agaçante, d’éviter la tonique en concluant
un morceau. On s’est tant servi dans ces derniers temps de tous ces procédés
de facture, sous prétexte d’éviter la banalité, qu’ils forment à leur tour un
ensemble de « formes conventionnelles » beaucoup plus insipides et irritantes
que les anciennes. Celles-ci avaient au moins le mérite de la simplicité; elles