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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 31.1885

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Nr. 4
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Comte, Jules: Exposition des dessins, aquarelles et estampes de Gustave Doré
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370

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

Ici, comment s’empêcher de présenter une observation? Voilà un enfant doué
s’il en fut, mais qui ne savait, en somme, rien ni de l’art ni de la vie. Poussé
dans la voie de l’illustration par quelques dessins imprimés qui sont tombés sous
ses yeux, il va tout naturellement subir les premières influences qui se présenteront.
Ce seront les Animaux peints pur eux-mêmes de Granville, les albums variés de
Cham et de Tôppfer; sans qu’on puisse l’accuser d’imitation, ce sera d’eux qu’il
s’inspirera tout d’abord. Qu’eût été la suite de sa carrière, s’il avait rencontré au
début d’autres initiateurs; s’il n’avait pas, dès l’entrée, été jeté en plein courant
commercial ; si surtout il avait pu recevoir l’ombre d’un commencement d’éducation
artistique? « Il n’aurait pu, nous dit M. Duplessis dans sa biographie, sans danger
pour son talent, subir un enseignement quelconque. » L’affirmation est bien grave,
et il ne nous est pas possible de la laisser passer sans protester de toutes nos forces.
Si le père de Doré, au lieu de stipuler avec tant de soin que le prix de chaque
dessin serait payé entre les mains de son représentant à Paris, s’était préoccupé
de développer normalement les dispositions exceptionnelles que montrait son fils,
il est probable que celui-ci n’aurait pas eu à souffrir pendant toute sa vie de ce
manque d’instruction spéciale qui laissa toujours une ombre à ses plus éclatants
succès. L’enfant n’avait alors, en somme, qu’un goût extraordinaire pour le
dessin, une sorte de sentiment inné d’imitation crayonnante, une facilité de main
qui n’avait pas besoin d’être surexcitée encore; cette direction, qu’il cherchait
presque inconsciemment et qu’il trouvait dans les illustrateurs du jour, nous ne
voyons pas vraiment quel péril il y eût eu à la demander à des maîtres plus sûrs.
Il est, dans toutes les branches de l’activité humaine, des notions que la jeunesse
a seule les moyens de s’assimiler; l’âge mûr en retirera le profit plus ou moins
étendu, il ne sera plus capable de les acquérir : l’heure aura passé. Quel reproche
faire à l’homme qui ne réalise pas toutes les espérances qu’on avait fondées sur
lui, quand à l’enfant on a dit que tout était dans l’à-peuprès? Comment s’étonner
que l’artiste se sente embarrassé aussitôt qu’il dépasse certaines limites, qu'il
reste parfois au-dessous de sa tâche, quand, à l’àge où les impressions restent si
vivaces, il ne s’est exercé que dans le grotesque ou dans le fantastique ? Il aura
trop attendu pour interroger la nature; elle se vengera en lui taisant ses secrets.

Le traité signé avec Philipon avait une durée de trois ans. Gustave Doré, tout
en collaborant pendant ce temps au Journal pour rire et en illustrant plusieurs
romans, notamment ceux du bibliophile Jacob et Monsieur Dupont, de Paul de Kock,
avait préparé les dessins d’un Rabelais qui parut en 1834, et qu’il reprit plus tard
avec un tout autre développement; en 1835, il publie ses Contes drolatiques de
Balzac, qui étonnèrent d’abord le public et n’eurent pas tout le succès qu’ils
méritaient, mais que tous les critiques s’accordent à considérer comme son
chef-d’œuvre. Il était alors dans tout l’entrain du plaisir, dans tout le feu de la
première jeunesse, dans les meilleures dispositions, par conséquent, pour com-
prendre et traduire toutes les exubérances, toutes les folles gaietés. Dans les Contes
son rire éclate franc et sonore, en même temps que son crayon déploie toute son
abondance et toute sa souplesse; l’homme de métier n’apparaît pas encore, et son
imagination facile reste sans effort à la hauteur d’un texte qui n’a d’autre
prétention que d’amuser; elle aura plus de peine à atteindre dans Rabelais tout ce
qu’il y a de sérieux et de profondément humain.

Dans le Voyage aux Pyrénées de M. Taine, Doré est toujours étincelant d’esprit
 
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