380
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
que nous devons tout d’abord rendre hommage. On sait qu’il n’est
peut-être pas de figure dont l'illustre sculpteur ait cherché plus
souvent à retracer les traits que la figure de saint Jean ; il en a été
maintes fois préoccupé. Comme on l’a dit très justement1, saint Jean
était le patron de Florence et par cela même son image devait être
chère aux Florentins ; mais ce n’est peut-être pas là qu’il faut chercher
la cause de la fréquence de cette figure dans l’œuvre des artistes du
xve siècle. La conception d’une figure de saint Jean prête à des
études très complexes qui devaient plaire à des hommes aussi épris
de leur art; c’est tantôt un enfant au visage plein de douceur et de
grâce, tantôt un jeune homme au regard déjà pensif, tantôt un
ascète amaigri par les veilles et le jeûne, vieilli avant l’âge par
une existence errante, qui prêche avec exaltation la venue du
Messie et est prêt à offrir sa tête au bourreau lorsqu’il croit sa
mission terminée. Les artistes du xve siècle ont étudié saint Jean
sous ces aspects multiples et Donatello peut-être plus que tous les
autres. On connaît les gracieuses sculptures dans lesquelles il a
représenté saint Jean enfant : telles sont celles du Musée national
à Florence et du Musée de Faenza 2 . Mais les plus célèbres
représentations de saint Jean sculptées par lui sont celles du Musée
national de Florence, de la casa Martelli, toutes deux en marbre;
du dôme de Sienne, en bronze; des Frari à Venise, en bois.
On pourrait encore en citer d’autres ; par exemple le bronze du
Musée de Berlin, que M. Bode pense avoir été fait en 1423 pour les
f#nts baptismaux d’Orvieto ; ce qui ne nous semble pas s’accorder
avec la description que nous en donnent les textes ; enfin un bronze
entré au Louvre avec la collection Timbal3 et qui nous paraît tout à
fait digne de prendre place dans l’œuvre du maître4. Dans toutes ces
statues, Donatello a donné réellement à saint Jean, surtout dans la
statue du Bargello et dans celle de Sienne, l’apparence d’un mangeur
de sauterelles. Outre ce caractère voulu, inhérent au sujet, le travail
y est d’une sécheresse poussée à ses dernières limites ; les muscles
du cou et les pectoraux, les bras, les jambes sont plutôt ceux d’un
cadavre que d’un être vivant et le saint Jean du Bargello fait un
peu, malgré les grandes qualités que l’on y rencontre comme dans
1. W. Bode, Die italienischen Sculpturen der Renaissance in der K. Museenzu
Berlin : Bild-Werke des Donatello und seiner Schule.
2. Cette dernière figure a été publiée dans la Gazette, 1884, t. XXX, p. 149.
3. N° 76 du Catalogue.
4. Un autre saint Jean aurait été exécuté également pour le dôme d’Ancône.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
que nous devons tout d’abord rendre hommage. On sait qu’il n’est
peut-être pas de figure dont l'illustre sculpteur ait cherché plus
souvent à retracer les traits que la figure de saint Jean ; il en a été
maintes fois préoccupé. Comme on l’a dit très justement1, saint Jean
était le patron de Florence et par cela même son image devait être
chère aux Florentins ; mais ce n’est peut-être pas là qu’il faut chercher
la cause de la fréquence de cette figure dans l’œuvre des artistes du
xve siècle. La conception d’une figure de saint Jean prête à des
études très complexes qui devaient plaire à des hommes aussi épris
de leur art; c’est tantôt un enfant au visage plein de douceur et de
grâce, tantôt un jeune homme au regard déjà pensif, tantôt un
ascète amaigri par les veilles et le jeûne, vieilli avant l’âge par
une existence errante, qui prêche avec exaltation la venue du
Messie et est prêt à offrir sa tête au bourreau lorsqu’il croit sa
mission terminée. Les artistes du xve siècle ont étudié saint Jean
sous ces aspects multiples et Donatello peut-être plus que tous les
autres. On connaît les gracieuses sculptures dans lesquelles il a
représenté saint Jean enfant : telles sont celles du Musée national
à Florence et du Musée de Faenza 2 . Mais les plus célèbres
représentations de saint Jean sculptées par lui sont celles du Musée
national de Florence, de la casa Martelli, toutes deux en marbre;
du dôme de Sienne, en bronze; des Frari à Venise, en bois.
On pourrait encore en citer d’autres ; par exemple le bronze du
Musée de Berlin, que M. Bode pense avoir été fait en 1423 pour les
f#nts baptismaux d’Orvieto ; ce qui ne nous semble pas s’accorder
avec la description que nous en donnent les textes ; enfin un bronze
entré au Louvre avec la collection Timbal3 et qui nous paraît tout à
fait digne de prendre place dans l’œuvre du maître4. Dans toutes ces
statues, Donatello a donné réellement à saint Jean, surtout dans la
statue du Bargello et dans celle de Sienne, l’apparence d’un mangeur
de sauterelles. Outre ce caractère voulu, inhérent au sujet, le travail
y est d’une sécheresse poussée à ses dernières limites ; les muscles
du cou et les pectoraux, les bras, les jambes sont plutôt ceux d’un
cadavre que d’un être vivant et le saint Jean du Bargello fait un
peu, malgré les grandes qualités que l’on y rencontre comme dans
1. W. Bode, Die italienischen Sculpturen der Renaissance in der K. Museenzu
Berlin : Bild-Werke des Donatello und seiner Schule.
2. Cette dernière figure a été publiée dans la Gazette, 1884, t. XXX, p. 149.
3. N° 76 du Catalogue.
4. Un autre saint Jean aurait été exécuté également pour le dôme d’Ancône.