EXPOSITION DES PASTELLISTES FRANÇAIS.
345
On avait aussi par trop enivré La Tour d’éloges, et le succès inouï
qu’il obtenait avait grisé cette nature vaniteuse. Ne disait-on pas
couramment que la Nature devait être jalouse de ses ouvrages ; qu’il
avait poussé l’art du pastel au point de dégoûter de la peinture?...
Mariette raconte une foule de traits qui font bien connaître
l’homme; mais peut-être avait-il quelque dépit d’avoir longtemps
posé pour son portrait, jeté au feu, faute d’avoir contenté son
auteur. L’histoire de celui de Mme de Mondonville, qui figure à
l’exposition, est des plus caractéristiques. Elle était la femme d’un
musicien fort lié avec La Tour et prévint le peintre qu’elle ne pour-
rait y mettre plus de vingt-cinq louis. L’œuvre achevée, elle envoie
la somme dans une boîte de dragées, qui lui est immédiatement
retournée, sauf les dragées. Croyant à une galanterie, elle achète
un plat d’argent, d’un prix supérieur, qu’on lui renvoie aussi. En
même temps, elle apprend qu’elle est taxée à 1,200 livres, comme
tout le monde, sans avoir égard à la sorte de contrat tacite qui
semblait les lier.
Ses boutades, le plus souvent déplacées, lorsque le roi posait pour
ses portraits, sont restées célèbres. Nous aimons pourtant assez, pour
notre part, celle-ci, rapportée encore par Mariette, suffoqué de tant
d’audace. Comme le roi parlait des nombreuses constructions qu’il
était en train d’édifier : « Sire, dit La Tour, ce sont des vaisseaux
qu’il faudrait à la France! » — Ma foi, les rois n’ont déjà pas tant
d’occasions d’entendre la vérité !
Mais quels agréables portraits de ce prince il nous a laissés! Un
Louis XY intime, le Louis X Y de Mme de Pompadour. Rien de distingué
comme ces quatre portraits de la famille royale qui donnent à la
salle des pastels du Louvre comme un air de bonne compagnie
suprême : le roi avec son beau regard, dans son habit bleu de roi;
Marie Leckzinska, au modeste et doux sourire, caressée d’un modelé
si délicat; le Dauphin, leur fils, aux traits un peu ronds, et sa femme,
Marie-Josèphe de Saxe, merveilleusement vivante avec son air légè-
rement hautain.
Mais une œuvre les domine, par son importance et par la beauté
du modèle, la virtuosité de l’exécution; c’est le célèbre portrait de
Mme la marquise de Pompadour, en robe de satin blanc à ramages,
un cahier de musique à la main. On s’exposerait à trop de redites en
parlant de cette belle œuvre, d’un ton charmant, ornement du Salon
de 1755, et qui fera la joie des amateurs tant que la fragilité du pro-
cédé permettra de l’admirer. Elle fut payée mille louis d’or par la
345
On avait aussi par trop enivré La Tour d’éloges, et le succès inouï
qu’il obtenait avait grisé cette nature vaniteuse. Ne disait-on pas
couramment que la Nature devait être jalouse de ses ouvrages ; qu’il
avait poussé l’art du pastel au point de dégoûter de la peinture?...
Mariette raconte une foule de traits qui font bien connaître
l’homme; mais peut-être avait-il quelque dépit d’avoir longtemps
posé pour son portrait, jeté au feu, faute d’avoir contenté son
auteur. L’histoire de celui de Mme de Mondonville, qui figure à
l’exposition, est des plus caractéristiques. Elle était la femme d’un
musicien fort lié avec La Tour et prévint le peintre qu’elle ne pour-
rait y mettre plus de vingt-cinq louis. L’œuvre achevée, elle envoie
la somme dans une boîte de dragées, qui lui est immédiatement
retournée, sauf les dragées. Croyant à une galanterie, elle achète
un plat d’argent, d’un prix supérieur, qu’on lui renvoie aussi. En
même temps, elle apprend qu’elle est taxée à 1,200 livres, comme
tout le monde, sans avoir égard à la sorte de contrat tacite qui
semblait les lier.
Ses boutades, le plus souvent déplacées, lorsque le roi posait pour
ses portraits, sont restées célèbres. Nous aimons pourtant assez, pour
notre part, celle-ci, rapportée encore par Mariette, suffoqué de tant
d’audace. Comme le roi parlait des nombreuses constructions qu’il
était en train d’édifier : « Sire, dit La Tour, ce sont des vaisseaux
qu’il faudrait à la France! » — Ma foi, les rois n’ont déjà pas tant
d’occasions d’entendre la vérité !
Mais quels agréables portraits de ce prince il nous a laissés! Un
Louis XY intime, le Louis X Y de Mme de Pompadour. Rien de distingué
comme ces quatre portraits de la famille royale qui donnent à la
salle des pastels du Louvre comme un air de bonne compagnie
suprême : le roi avec son beau regard, dans son habit bleu de roi;
Marie Leckzinska, au modeste et doux sourire, caressée d’un modelé
si délicat; le Dauphin, leur fils, aux traits un peu ronds, et sa femme,
Marie-Josèphe de Saxe, merveilleusement vivante avec son air légè-
rement hautain.
Mais une œuvre les domine, par son importance et par la beauté
du modèle, la virtuosité de l’exécution; c’est le célèbre portrait de
Mme la marquise de Pompadour, en robe de satin blanc à ramages,
un cahier de musique à la main. On s’exposerait à trop de redites en
parlant de cette belle œuvre, d’un ton charmant, ornement du Salon
de 1755, et qui fera la joie des amateurs tant que la fragilité du pro-
cédé permettra de l’admirer. Elle fut payée mille louis d’or par la