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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
pied même des autels de la divine Pallas, quand vous leur auriez
fait franchir le seuil de la cella à jamais détruite, que trouveraient-
ils dans leur cœur, sinon cet aveu d’adoration impuissante et déjà
hérétique, qui inspira à M. Renan cette admirable Prière sur l'Acro-
pole : « Déesse, j’arrive tard au seuil de tes mystères, j’apporte à
ton autel beaucoup de remords. Pour te trouver, il m’a fallu des
recherches infinies. L’initiation que tu conférais à P Athénien
naissant par un sourire, je l’ai acquise à force de réflexions, au prix
de longs efforts... Même ceux qui t’honorent, qu’ils doivent te faire
pitié !... Que d’habitudes d’esprit j’aurai à changer ! J’essayerai, mais
je ne suis pas sur de moi !— J’irai plus loin, déesse orthodoxe, je
te dirai la dépravation intime de mon cœur. Raison et bon sens ne
suffisent pas. Il y a de la poésie dans le Strymon glacé et dans
l’ivresse du Tlirace. Il viendra des siècles où tes disciples passeront
pour les disciples de l’ennui. Le monde est plus grand que tu ne
crois. Si tu avais vu les neiges du pôle et les mystères du ciel
austral, ton front, ô déesse toujours calme, ne serait pas si serein;
ta tête plus large embrasserait divers genres de beauté h »
Aussi l’idéal d’une éducation artistique, telle que la rêvent les
partisans d’un art personnel et franchement moderne, différerait-il
sensiblement de celui qui est en honneur dans les ateliers ortho-
doxes. Le meilleur enseignement ne serait-il pas, en effet, celui qui
mettrait aux mains de l’artiste l’instrument le plus précis et le plus
souple à la fois, le plus apte à noter toutes les nuances de son
émotion personnelle en présence de la nature et de la vie. Qu’on
travaille à enrichir dans tous les sens la culture de l’artiste, si
insuffisante aujourd’hui surtout où tant de fruits secs embrassent
comme un pis aller la carrière des arts; qu’on essaye d’affiner et
d’étendre par une éducation appropriée la qualité et la portée de son
esprit; mais, par-dessus tout, qu’on l’habitue à regarder la nature
avec simplicité, à la traduire avec sincérité, qu’on ménage la candeur
de ses premières impressions si touchantes et souvent si fécondes.
Deus résistif superbis, sed gratiam dat humilibus, aimait à répéter Millet.
Est-il rien de plus attristant et de plus laid que ces affreux petits
pédants, comme on en voit trop dans le concours de l’Ecole, qui
n’ont jamais douté, ne se doutant de rien? Leurs moindres ébauches
portent la marque de je ne sais quelle imperturbable certitude, d’un
irritant mensonge d’autorité. On y trouve tout : tour de main,
1. Stuvenirs d’enfance et de jeunesse. in-8°, p. 62 à 72, passirn.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
pied même des autels de la divine Pallas, quand vous leur auriez
fait franchir le seuil de la cella à jamais détruite, que trouveraient-
ils dans leur cœur, sinon cet aveu d’adoration impuissante et déjà
hérétique, qui inspira à M. Renan cette admirable Prière sur l'Acro-
pole : « Déesse, j’arrive tard au seuil de tes mystères, j’apporte à
ton autel beaucoup de remords. Pour te trouver, il m’a fallu des
recherches infinies. L’initiation que tu conférais à P Athénien
naissant par un sourire, je l’ai acquise à force de réflexions, au prix
de longs efforts... Même ceux qui t’honorent, qu’ils doivent te faire
pitié !... Que d’habitudes d’esprit j’aurai à changer ! J’essayerai, mais
je ne suis pas sur de moi !— J’irai plus loin, déesse orthodoxe, je
te dirai la dépravation intime de mon cœur. Raison et bon sens ne
suffisent pas. Il y a de la poésie dans le Strymon glacé et dans
l’ivresse du Tlirace. Il viendra des siècles où tes disciples passeront
pour les disciples de l’ennui. Le monde est plus grand que tu ne
crois. Si tu avais vu les neiges du pôle et les mystères du ciel
austral, ton front, ô déesse toujours calme, ne serait pas si serein;
ta tête plus large embrasserait divers genres de beauté h »
Aussi l’idéal d’une éducation artistique, telle que la rêvent les
partisans d’un art personnel et franchement moderne, différerait-il
sensiblement de celui qui est en honneur dans les ateliers ortho-
doxes. Le meilleur enseignement ne serait-il pas, en effet, celui qui
mettrait aux mains de l’artiste l’instrument le plus précis et le plus
souple à la fois, le plus apte à noter toutes les nuances de son
émotion personnelle en présence de la nature et de la vie. Qu’on
travaille à enrichir dans tous les sens la culture de l’artiste, si
insuffisante aujourd’hui surtout où tant de fruits secs embrassent
comme un pis aller la carrière des arts; qu’on essaye d’affiner et
d’étendre par une éducation appropriée la qualité et la portée de son
esprit; mais, par-dessus tout, qu’on l’habitue à regarder la nature
avec simplicité, à la traduire avec sincérité, qu’on ménage la candeur
de ses premières impressions si touchantes et souvent si fécondes.
Deus résistif superbis, sed gratiam dat humilibus, aimait à répéter Millet.
Est-il rien de plus attristant et de plus laid que ces affreux petits
pédants, comme on en voit trop dans le concours de l’Ecole, qui
n’ont jamais douté, ne se doutant de rien? Leurs moindres ébauches
portent la marque de je ne sais quelle imperturbable certitude, d’un
irritant mensonge d’autorité. On y trouve tout : tour de main,
1. Stuvenirs d’enfance et de jeunesse. in-8°, p. 62 à 72, passirn.