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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 31.1885

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Nr. 6
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Lostalot, Alfred de: Revue musicale
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https://doi.org/10.11588/diglit.24592#0545

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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

disette persistante, on est porté à trouver exquis les produits ordinaires des
années d’abondance.

A vrai dire, le nouvel opéra de Victor Massé n’ajoutera rien à la réputa-
tion de l’aimable musicien à qui l’on doit tant de partitions charmantes,
d’une inspiration peu élevée, sans doute, mais facile, souvent élégante, et
d’un tour particulier. L’auteur des Noces de Jeannette, de Galatée et des
Saisons, occupe dans l’art une place distinguée à côté et au-dessous d’Auber.
Il est en musique l’égal de ces petits maîtres du xvme siècle, peintres, dessi-
nateurs et graveurs , dont la gloire n’a jamais été si bien assise qu’elle
l’est aujourd’hui. Par une étrange contradiction, notre École actuelle de
musique et beaucoup d’amateurs distingués n’admettent pas qu’un com-
positeur puisse se recommander, en 1885, des qualités de goût, de sobriété
et d’invention délicate, que nous estimons si haut dans les œuvres de la
plastique du siècle dernier. Il n’est plus permis à un musicien de s’essayer à
la musique « de genre » ; peu importe que la nature l’ait créé pour les œuvres
douces de l’esprit et du cœur, il lui faut se lancer dans les folles équipées
s’il veut inscrire son nom au Livre d’Or des artistes. On ne s’inquiète pas de
savoir s’il a le goût des voyages et le souffle nécessaire pour escalader les
hautes cimes; de gré ou de force, il doit s’enrôler dans la phalange qui combat
pour le Grand Art : de là vient qu’il y a tant de poitrinaires parmi les Cheva-
liers du Graal.

Victor Massé, sur ses vieux jours, n’a pas échappé à la manie générale
qui porte les musiciens à faire grand; dans Une nuit de Cléopâtre, il est
visiblement préoccupé de se créer des droits à l’insertion de son nom dans le
fameux Livre d’Or. Peine perdue ! Les confrères ne lui pardonneront jamais
son passé, et puis qu’importent ces concessions tardives et timides, il est
vrai, au style régnant, au goût du prétentieux, de l’ampoulé et du bruyant?
Massé est resté Français quand même; il n’a pas voulu s’enrôler dans la
croisade wagnérienne; pour les docteurs de l’École, c’est un homme con-
damné sans appel : Non dignus est intrare in nostro docto cor pore.

Le public, qui mesure la valeur d’un musicien à la somme des jouissances
que sa musique lui procure, sans se montrer aussi sévère que les critiques-
compositeurs, n’approuve pas complètement, lui non plus, la nouvelle
manière de l’auteur de Galatée, mais il se plaît à relever, dans la Nuit de
Cléopâtre, des traces heureuses de l’ancienne. Les rôles principaux sont assez
abondamment fournis de chants expressifs , remarquables par l’unité de
sentiment, commençant bien, développés dans une mesure suffisante et
concluant à propos. C’est déjà un plaisir pour l’oreille de pouvoir les com-
prendre et les suivre sans fatigue. Il n’en est pas moins vrai que Massé fut
mieux inspiré autrefois ; l’âge se faisait sentir, et c’est pour cela sans doute
qu’il s’est cru obligé de recourir, de temps à autre, à des artifices de compo-
sition dont le but évident est de masquer les défaillances de la pensée.

Cette partition est d’une exécution difficile; nous n’en faisons aucun
mérite au compositeur, car son talent aimable et primesautier s’alourdit
sans y gagner ni majesté ni grandeur. Il a cependant réussi une fois à
s’élever plus haut que lui-même : le duo final de Cléopâtre et du pêcheur
Manassès que la célèbre reine a fait roi d’un jour, ou plutôt d’une nuit, est
 
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