LES SALONS DE 1898
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tretenir notre rêve de beauté physique et de splendeur morale par
d'impérissables chefs-d’œuvre.
« Geneviève, dans sa pieuse sollicitude, veille sur la ville endor-
mie. » Sur la terrasse aux dalles blanchies par la lune, dont les reflets
jouent plus loin sur les eaux du tleuve assoupi, au milieu de la nuit
bleue et transparente, la grande et auguste silhouette de la pa-
tronne de Paris, la tête et les épaules préservées de la rosée par un
voile, se dessine nettement dans cette clarté de la nuit qui a quelque
chose de surnaturel. Elle contemple, en une lente et silencieuse
songerie, comme avec une inquiétude maternelle, avec la clair-
voyance d’un esprit de bonté qui a devancé ces âges si durs, la
ville endormie, dont les toits bruns, la croupe arrondie des petites
églises, les tours carrées des fortifications, semblent engourdis
dans la torpeur d’un sommeil profond. Au fond, les taches plus
blanches des lointains monastères émergent vaguement de la
plaine bleue, comme des voiles sur les Ilots de la mer. A droite, par
la porte ouverte de la chambre, vacille une lueur rougeâtre, com-
battue doucement par la clarté froide du ciel nocturne ; aux pieds de
la sainte fleurit une plante qui égaie paisiblement de ses fleurs vio-
lettes et anime même de sa vie d’être inconscient et végétatif ce coin
d’ombre du tableau.
On éprouve une impression de profond silence, de repos, d’apai-
sement. On entend la palpitation lente de la ville endormie sous la
douce et vive clarté de la grande nuit pacifique et sous le rayonne-
ment pénétrant de cette présence sacrée, attentive et vigilante. Rien
de trop, rien de moins, pas la moindre coquetterie d’artiste, le plus
léger développement littéraire de poète. C’est strictement la traduc-
tion de cette courte phrase de légende : « Geneviève dans sa pieuse
sollicitude veille sur la ville endormie. » C’est exactement la vision
spontanée de cette scène intime et inoubliable, émouvante de noblesse
et de simplicité, d’une grâce austère, d’une grandeur paisible et
consolante, telle qu’elle s’est formée dans l’esprit du grand vision-
naire. Nulle œuvre n’est plus conforme à la belle définition que
Tolstoï, naguère, donnait de l’art, lorsqu’il disait que sa seule fin
pour un artiste, est de transmettre son rêve aux autres.
Une des gloires les moins contestées de M. Puvis de Chavannes,
c’est qu’il a maintenu la peinture monumentale à la hauteur qu’elle
atteignait aux plus belles époques, en nn temps où chez nous elle
était fort délaissée.
Depuis, grâce à son grand exemple, grâce aux efforts persistants
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tretenir notre rêve de beauté physique et de splendeur morale par
d'impérissables chefs-d’œuvre.
« Geneviève, dans sa pieuse sollicitude, veille sur la ville endor-
mie. » Sur la terrasse aux dalles blanchies par la lune, dont les reflets
jouent plus loin sur les eaux du tleuve assoupi, au milieu de la nuit
bleue et transparente, la grande et auguste silhouette de la pa-
tronne de Paris, la tête et les épaules préservées de la rosée par un
voile, se dessine nettement dans cette clarté de la nuit qui a quelque
chose de surnaturel. Elle contemple, en une lente et silencieuse
songerie, comme avec une inquiétude maternelle, avec la clair-
voyance d’un esprit de bonté qui a devancé ces âges si durs, la
ville endormie, dont les toits bruns, la croupe arrondie des petites
églises, les tours carrées des fortifications, semblent engourdis
dans la torpeur d’un sommeil profond. Au fond, les taches plus
blanches des lointains monastères émergent vaguement de la
plaine bleue, comme des voiles sur les Ilots de la mer. A droite, par
la porte ouverte de la chambre, vacille une lueur rougeâtre, com-
battue doucement par la clarté froide du ciel nocturne ; aux pieds de
la sainte fleurit une plante qui égaie paisiblement de ses fleurs vio-
lettes et anime même de sa vie d’être inconscient et végétatif ce coin
d’ombre du tableau.
On éprouve une impression de profond silence, de repos, d’apai-
sement. On entend la palpitation lente de la ville endormie sous la
douce et vive clarté de la grande nuit pacifique et sous le rayonne-
ment pénétrant de cette présence sacrée, attentive et vigilante. Rien
de trop, rien de moins, pas la moindre coquetterie d’artiste, le plus
léger développement littéraire de poète. C’est strictement la traduc-
tion de cette courte phrase de légende : « Geneviève dans sa pieuse
sollicitude veille sur la ville endormie. » C’est exactement la vision
spontanée de cette scène intime et inoubliable, émouvante de noblesse
et de simplicité, d’une grâce austère, d’une grandeur paisible et
consolante, telle qu’elle s’est formée dans l’esprit du grand vision-
naire. Nulle œuvre n’est plus conforme à la belle définition que
Tolstoï, naguère, donnait de l’art, lorsqu’il disait que sa seule fin
pour un artiste, est de transmettre son rêve aux autres.
Une des gloires les moins contestées de M. Puvis de Chavannes,
c’est qu’il a maintenu la peinture monumentale à la hauteur qu’elle
atteignait aux plus belles époques, en nn temps où chez nous elle
était fort délaissée.
Depuis, grâce à son grand exemple, grâce aux efforts persistants