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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 4.1878 (Teil 4)

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Montrosier, Eugène: Exposition rétrospective de tableaux et dessins des maitres modernes
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EXPOSITION RETROSPECTIVE

DE TABLEAUX ET DESSINS DES MAITRES MODERNES1

« Les craintes que pouvait faire concevoir l'Exposition de
1878, écrivions-nous re'cemment, se sont réalisées d'une manière
absolue. La moyenne des talents est nombreuse, mais le coup
de foudre qui illumine fait totalement défaut. On n'a, pour s'en
convaincre, qu'à parcourir les salles des beaux-arts, au Champ-
de-Mars. Des noms aimés, des compositions savantes, des
recherches audacieuses frappent les yeux ; mais le chef-d'œuvre
devant lequel les passionnés seraient tentés d'engager un
pugilat comme le faisaient nos pères au début de ce siècle, en
présence de la Barque du Dante, de Delacroix, du Déluge, de
Girodet, de la Naissance d'Henri IV, de Devéria, du Saint
Symphorien d'Ingres, où est-il ?

« Notez bien que cette heure d'hésitation qui sonne pour
la France tinte aussi pour les autres nations. L'alarme est don-
née, l'inquiétude est partout. On court au hasard, ne reconnais-
sant plus les chefs, affolé par le désespoir de ne pouvoir égaler
ceux qui ne sont plus, pris d'une sorte de curiosité maladive,
pour des formules encore à l'état d'abstractions. Le passé épou-
vante par sa grandeur, l'avenir attire par ses mirages. Le réa-
lisme et le naturalisme sont tour à tour interrogés. Et pendant
ce temps la peinture d'histoire agonise et tend à disparaître,
parce que ceux qui la professent manquent de la « foi du char-
bonnier ».

L'Ecole et sa règle rigide ne sont pas faites pour réchauffer
les tièdes, pour transformer la pensée des sceptiques. Notre
impression personnelle, basée sur un contact constant avec la
peinture contemporaine, c'est que la convention académique
est à son déclin et que bientôt, sur les bords de la Seine, on
entendra retentir ce cri qui, il y a des siècles, fit frémir les flots
de la mer Egée et tressaillir la Grèce entière : « Le grand Pan
est mort ! »

Eh bien, ces maîtres dont nous déplorons l'absence, ces
chefs-d'œuvre dont nous regrettons l'éclat, nous venons de les
retrouver groupés dans la fraternité de la tombe, dans l'apothéose
de l'immortalité naissante, — plus grands, morts, que vivants !

G'est à M. Durand-Ruel, qui a organisé dans ses galeries
l'Exposition rétrospective de tableaux et dessins des maîtres mo-
dernes, et aux amateurs éclairés qui lui ont prêté leurs trésors,
que nous devons cette fête lumineuse et réconfortante donnée
en l'honneur des grands peintres du xix° siècle. Fête qui est
comme le couronnement de l'art français renouvelé.

Quelle liste merveilleuse ! Quelle série de pages sans
seconde dans aucun autre pays ; et quel martyrologe aussi !

Écoutez sonner les noms comme des appels de clairon :
Barye, Brion, Chintreuil, Courbet, Corot, Decamps, Delacroix,
Daubigny, Diaz, Fromentin, Paul Huet, Jean-François Millet,
Ricard, Théodore Rousseau, Tassaert, Troyon.

Sauf Jules Dupré toujours jeune d'esprit, de profondeur et de
puissance, tous les paysagistes de la période révolutionnaire sont
couchés dans la fosse ; l'Histoire pleure Delacroix et Ricard qui
fit des portraits historiques ; les fauves n'ont plus d'accent depuis
la disparition de Barye ; l'ombre lumineuse d'Orient s'est obs-
curcie depuis que Fromentin n'est plus ; et il semble que les
paysans de Millet soient contemporains de ceux qu'a si doulou-
reusement décrits La Bruyère.

Pourquoi donc ces noms que nous venons d'évoquer exer-
cent-ils une telle autorité ? Pourquoi donc les toiles qui en sont
signées produisent-elles une fascination à laquelle il est difficile
de s'arracher ? Demandez-le aux œuvres ; elles vous répon-

dront : Parce que nous vivons de l'âme de ceux qui nous ont
créées —■ quelquefois de leur sang!

Qui peut savoir de, combien de douleurs est faite la vie d'un
véritable artiste, quelles lattes, quelles angoisses il a à surmonter ?

Jules Dupré, dans une lettre qu'il nous écrivait au lendemain
delà mort de Millet, le laisse deviner; voici ce qu'il nous
disait :

« Nous ne sommes pas juges de nos contemporains, mon cher
monsieur Montrosier, c'est ce qui me fait hésiter à vous écrire;
cependant, quand un artiste de la valeur de Millet disparaît de
la lutte, il est permis de mesurer la place qu'il occupait et de
faire savoir au public, qui ne l'a pas compris, combien cette
place était grande et bien remplie. Vous venez de dire, en style
élevé et vrai, tout ce qu'on pouvait dire de mieux sur l'homme
et sur le peintre, qui savait poétiser par l'art et le sentiment le
sujet le plus vulgaire. N'est-ce pas la preuve évidente que la
nature est le prétexte et l'individualité le but ? puisque l'on
dira un Millet, comme l'on dit un Raphaël, un Rembrandt, un
Ostade. — Pauvre Millet ! c'est lui qui de nous tous a le plus
souffert; il a enduré longtemps la misère, souvent la faim, vous
entendez, je dis la faim, et cela avec de la famille... Je n'exa-
gère rien. »

I

Millet, artiste de premier ordre, fut méconnu de la foule
qui ne le comprenait pas encore. Le peintre pensait trop pour
elle. Il montrait une sympathie trop intense pour ce lutteur
obstiné et stoïque qui s'appelle le paysan. L'œuvre de Millet
reflète comme un miroir les sensations de l'homme, dénonce sa
préoccupation constante. On devine qu'il l'a vécue de l'enfance
au déclin, et qu'il a souffert. Fils de paysan, enfant, il a creusé,
lui aussi, le sillon d'où le germe devait sortir. D'une main
ferme, il a poussé le coutre de la charrue et éventré la terre
qui de sa blessure allait donner la vie. A peine adolescent, déjà
son corps s'était courbé vers le sol, déjà son front s'était inondé
de sueur. Déjà aussi, dans le sévère isolement de la nature, son
âme contemplative avait pu développer ses aspi.-ations et s'éle-
ver vers l'Invisible. Semblable à l'abeille, il avait butiné pendant
les premières années de sa carrière de nombreux trésors qui,
épanchés lentement, après une consciencieuse étude, devaient
aider à faire connaître son nom.

Ce qui distingue Millet parmi ceux qui ont marché à ses
côtés, ou qui l'ont distancé dans la faveur du public, c'est évidem-
ment le sentiment de grandeur agreste qui se dégage de ses
tableaux. Lui, le peintre rural; lui, l'interprète des champs et
des êtres, il n'a rien fardé, rien dissimulé. Il a pris ces héros
ignorés, objets de dédain ou de risée, et les a non pas
idéalisés, mais justifiés en montrant la beauté mystérieuse de
leur tâche. Ce qui les rehausse, c'est le cadre dans lequel ils se
meuvent, qui n'a pour limites que l'immensité de l'horizon.
Sur ces scènes rustiques, Millet a fait descendre la sublime mé-
lancolie d'en haut, ou bien parfois, du sol déchiré par le soc de
la charrue, il a fait monter en brouillards lumineux les vapeurs
chaudes et fécondantes que renferme le sein de la terre. Tout à
l'heure nous parlions de La Bruyère à propos de Millet. Nous
revenons à notre idée. Millet n'a-t-il pas, lui aussi, écrit ses
Caractères? Il les a empreints, ii est vrai, d'une sorte de sévérité
sacrée. Pour lui, le rustre, qui au temps du grand roi broutait
l'herbe des champs, accomplit une fonction. Il remplit un rôle

1. L'exposition fermera le 15 octobre.
 
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