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L'ART.
siècle, mais qui paraissaient chose toute naturelle au temps de
la Pompadour et de la Du Barry. L'abbé de Voisenon avait
commencé par être un saint homme. Élevé aux fonctions de
grand vicaire, par l'évêque de Boulogne-sur-Mer, qui était son
parent, il avait tellement édifié par sa piété tout le diocèse, que,
à la mort de l'évêque, la ville et le clergé envoyèrent une dépu-
tation au cardinal de Fleury pour le supplier de faire nommer
le grand vicaire au siège vacant. Mais l'abbé se défiait de sa
persévérance. A peine informé de cette démarche, il partit de
nuit pour Versailles, et courut chez le ministre pour lui deman-
der comme une grâce de rejeter les vœux des Boulonnais : « Eh !
comment, disait-il, veulent-ils que je les conduise, lorsque j'ai
tant de peine à me conduire moi-même? » Le cardinal, très-
étonné d'un pareil désintéressement, fit droit à sa requête,
et lui donna en compensation l'abbaye royale du Jard, qui
n'exigeait ni résidence ni devoirs au-dessus de ses forces.
Dès lors, il s'appliqua plus à amuser ses contemporains qu'à
les édifier, et il devint l'hôte assidu des salons où l'on exigeait
plus-d'esprit que de piété, ce qui ne l'empêcha pas de mourir
en bon chrétien, le 22 novembre 1775, dans la 68° année de
son âge.
Les contes sont précédés d'une notice très-intéressante sur
la vie et les œuvres de Voisenon, par M. Oct. Uzanne. Cette
notice, pleine de faits et d'anecdotes bien choisis, donne l'idée
la plus aimable du caractère du spirituel abbé.
Les œuvres réunies dans ce volume sont d'une lecture très-
agréable, bien qu'écrites avec une certaine recherche. Mais cette
recherche a elle-même je ne sais quoi de sincère et presque de
naturel. Il n'est pas difficile de trouver sous cette forme familière
un art très-calculé, qui est loin de cette abondance de verve
spontanée qui caractérise les grands hommes d'esprit comme
Molière et Voltaire, mais cet art est toujours si bien et si à
propos soutenu par l'esprit véritable de l'écrivain, qu'on n'a
guère le temps de souffrir de ce qu'il peut y avoir de factice et
d'apprêté dans celles des phrases qui ont pour fonction de com-
bler les lacunes de l'inspiration. On peut dire en somme que
s'il n'a guère de quoi satisfaire ceux qui veulent que la phrase
soit absolument asservie à la pensée et qu'elle ne s'efforce jamais
d'attirer sur le contenant l'attention qu'ils ne croient due qu'au
contenu, il a au contraire tout ce qu'il faut pour charmer le
goût quelque peu dévoyé des raffinés qui se donnent h eux-
mêmes le nom de stylistes, et qui cherchent dans les délicatesses
et les subtilités de la forme des agréments auxquels ils sont plus
sensibles qu'aux mérites de la pensée.
Il ne faudrait pas croire cependant que l'esprit de Voisenon
fût tout au dehors, et qu'il ne restât rien pour le fond. Ce serait
une exagération.
On pourrait citer nombre de passages où l'expérience morale
se combine très-heureusement avec le raffinement de l'expres-
sion, et où l'agrément résulte non moins de la sagacité de l'obser-
vateur que de l'esprit et de la dextérité de l'écrivain.
— J'avoue que j'aime beaucoup moins le Diable amoureux
de Cazotte. Rien ne me paraît fatigant et vide comme ce fan-
tastique à jet continu, qui accumule à plaisir les invraisem-
blances. L'Avis de cinq pages que Cazotte a mis en tète de son
livre, et où il apprécie plaisamment les dessins grotesques qui
l'ornent, me plaît infiniment plus que le livre lui-même, malgré
les intentions secondes et les profondeurs morales qu'il cherche
â y faire entrevoir.
M. Pons y a ajouté, en guise de préface, une Notice sur la
vie et les œuvres de Jacques Calotte, qu'on lira avec intérêt. Il ne
se fait pas trop d'illusion sur la valeur de l'œuvre qu'il est
chargé de présenter au public ; mais il éprouve pour l'homme une
sympathie réelle, que du reste celui-ci paraît mériter. L'histoire
de ses démêlés avec l'ordre des Jésuites, à propos de la banque-
route La Valette, est bien amusante. Cazotte s'y trouvait com-
promis pour cent trente mille francs, qu'il ne put jamais rattraper,
mais qui lui attirèrent, de la part du R. P. Laurent Ricci, général
de l'ordre, des lettres singulièrement instructives, et qui, à elles
seules, pour les amateurs de haute comédie, valent plus que le
prix du volume.
En résumé, nous ne saurions trop féliciter le successeur de
M. Claye de l'activité qu'il déploie. Ces jolis volumes ont,
dans leur diversité, un cachet de bon goût qu'apprécieront les
Bibliophiles.
Une recommandation cependant avant de finir. Nous avons
trouvé dans les Contes de Voisenon et dans le Diable amoureux
quelques fautes d'impression. Il faut veiller à cela.
Eugène Véron.
LE CONGRÈS DE LA PROPRIÉTÉ ARTISTIQUE
Inauguré le 18 septembre au Trocadéro par un discours de
M. le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts, une
allocution de son président M. Meissonier et un rapport pré-
senté au nom du comité d'organisation par le secrétaire général,
M. Adrien Huard, avocat à la cour d'appel de Paris, vice-prési-
dent de la Société des inventeurs et artistes industriels, ce Congrès
n'a pas tenu tout ce qu'il promettait.
S'il a été plus brillant que le Congrès d'Anvers de 1877, —
dont nous avons récemment résumé les conclusions 1 — il est
loin d'avoir offert autant d'intérêt que le Congrès littéraire,
présidé au Châtelet par Victor Hugo, que le Congrès de la
propriété industrielle, qui a eu lieu au Trocadéro , et il
s'en faut de beaucoup qu'il ait effacé le souvenir du premier
Congrès international de la propriété artistique littéraire tenu à
Bruxelles en 1858, et même du second qui se réunit à Anvers
en 1861.
L'assemblée n'était pas très-nombreuse. Les notabilités
étrangères, qui sont un des principaux éléments d'attraction de
ces meetings cosmopolites, y étaient assez clair-semées. Enfin le
1. Voir l'Art, 4' année, tome III, page 68.
Congrès s'est mépris sur un point essentiel, en attachant trop
d'importance à ses votes, pas assez à ses discours, c'est-à-dire à
l'exposé des motifs de ses délibérations.
Dans une assemblée politique, issue d'une élection régulière,
dont chaque membre représente en thèse générale le pays tout
entier et spécialement un certain groupe de mandants, on con-
çoit que les votes aient plus d'importance que les discours ; et
encore, même dans les contrées les moins friandes d'éloquence,
et quelque antipathie qu'inspire le verbiage parlementaire, les
résolutions qui ne sont point précédées d'une discussion publi-
que sérieuse et approfondie n'ont qu'une médiocre valeur aux
yeux du gouvernement appelé à les exécuter, ou de la nation
invitée à les subir.
Mais dans un Congrès, et surtout dans un Congrès interna-
tional, dans une de ces assemblées libres où chacun tient en
réalité son mandat de lui-même, où le versement d'une cotisation
de 12 francs donne aux simples curieux les mêmes droits qu'aux
compétences les plus notoires, où\e vote n'est en fin de compte
que l'expression d'une majorité de hasard, sans délégation
L'ART.
siècle, mais qui paraissaient chose toute naturelle au temps de
la Pompadour et de la Du Barry. L'abbé de Voisenon avait
commencé par être un saint homme. Élevé aux fonctions de
grand vicaire, par l'évêque de Boulogne-sur-Mer, qui était son
parent, il avait tellement édifié par sa piété tout le diocèse, que,
à la mort de l'évêque, la ville et le clergé envoyèrent une dépu-
tation au cardinal de Fleury pour le supplier de faire nommer
le grand vicaire au siège vacant. Mais l'abbé se défiait de sa
persévérance. A peine informé de cette démarche, il partit de
nuit pour Versailles, et courut chez le ministre pour lui deman-
der comme une grâce de rejeter les vœux des Boulonnais : « Eh !
comment, disait-il, veulent-ils que je les conduise, lorsque j'ai
tant de peine à me conduire moi-même? » Le cardinal, très-
étonné d'un pareil désintéressement, fit droit à sa requête,
et lui donna en compensation l'abbaye royale du Jard, qui
n'exigeait ni résidence ni devoirs au-dessus de ses forces.
Dès lors, il s'appliqua plus à amuser ses contemporains qu'à
les édifier, et il devint l'hôte assidu des salons où l'on exigeait
plus-d'esprit que de piété, ce qui ne l'empêcha pas de mourir
en bon chrétien, le 22 novembre 1775, dans la 68° année de
son âge.
Les contes sont précédés d'une notice très-intéressante sur
la vie et les œuvres de Voisenon, par M. Oct. Uzanne. Cette
notice, pleine de faits et d'anecdotes bien choisis, donne l'idée
la plus aimable du caractère du spirituel abbé.
Les œuvres réunies dans ce volume sont d'une lecture très-
agréable, bien qu'écrites avec une certaine recherche. Mais cette
recherche a elle-même je ne sais quoi de sincère et presque de
naturel. Il n'est pas difficile de trouver sous cette forme familière
un art très-calculé, qui est loin de cette abondance de verve
spontanée qui caractérise les grands hommes d'esprit comme
Molière et Voltaire, mais cet art est toujours si bien et si à
propos soutenu par l'esprit véritable de l'écrivain, qu'on n'a
guère le temps de souffrir de ce qu'il peut y avoir de factice et
d'apprêté dans celles des phrases qui ont pour fonction de com-
bler les lacunes de l'inspiration. On peut dire en somme que
s'il n'a guère de quoi satisfaire ceux qui veulent que la phrase
soit absolument asservie à la pensée et qu'elle ne s'efforce jamais
d'attirer sur le contenant l'attention qu'ils ne croient due qu'au
contenu, il a au contraire tout ce qu'il faut pour charmer le
goût quelque peu dévoyé des raffinés qui se donnent h eux-
mêmes le nom de stylistes, et qui cherchent dans les délicatesses
et les subtilités de la forme des agréments auxquels ils sont plus
sensibles qu'aux mérites de la pensée.
Il ne faudrait pas croire cependant que l'esprit de Voisenon
fût tout au dehors, et qu'il ne restât rien pour le fond. Ce serait
une exagération.
On pourrait citer nombre de passages où l'expérience morale
se combine très-heureusement avec le raffinement de l'expres-
sion, et où l'agrément résulte non moins de la sagacité de l'obser-
vateur que de l'esprit et de la dextérité de l'écrivain.
— J'avoue que j'aime beaucoup moins le Diable amoureux
de Cazotte. Rien ne me paraît fatigant et vide comme ce fan-
tastique à jet continu, qui accumule à plaisir les invraisem-
blances. L'Avis de cinq pages que Cazotte a mis en tète de son
livre, et où il apprécie plaisamment les dessins grotesques qui
l'ornent, me plaît infiniment plus que le livre lui-même, malgré
les intentions secondes et les profondeurs morales qu'il cherche
â y faire entrevoir.
M. Pons y a ajouté, en guise de préface, une Notice sur la
vie et les œuvres de Jacques Calotte, qu'on lira avec intérêt. Il ne
se fait pas trop d'illusion sur la valeur de l'œuvre qu'il est
chargé de présenter au public ; mais il éprouve pour l'homme une
sympathie réelle, que du reste celui-ci paraît mériter. L'histoire
de ses démêlés avec l'ordre des Jésuites, à propos de la banque-
route La Valette, est bien amusante. Cazotte s'y trouvait com-
promis pour cent trente mille francs, qu'il ne put jamais rattraper,
mais qui lui attirèrent, de la part du R. P. Laurent Ricci, général
de l'ordre, des lettres singulièrement instructives, et qui, à elles
seules, pour les amateurs de haute comédie, valent plus que le
prix du volume.
En résumé, nous ne saurions trop féliciter le successeur de
M. Claye de l'activité qu'il déploie. Ces jolis volumes ont,
dans leur diversité, un cachet de bon goût qu'apprécieront les
Bibliophiles.
Une recommandation cependant avant de finir. Nous avons
trouvé dans les Contes de Voisenon et dans le Diable amoureux
quelques fautes d'impression. Il faut veiller à cela.
Eugène Véron.
LE CONGRÈS DE LA PROPRIÉTÉ ARTISTIQUE
Inauguré le 18 septembre au Trocadéro par un discours de
M. le ministre de l'instruction publique et des beaux-arts, une
allocution de son président M. Meissonier et un rapport pré-
senté au nom du comité d'organisation par le secrétaire général,
M. Adrien Huard, avocat à la cour d'appel de Paris, vice-prési-
dent de la Société des inventeurs et artistes industriels, ce Congrès
n'a pas tenu tout ce qu'il promettait.
S'il a été plus brillant que le Congrès d'Anvers de 1877, —
dont nous avons récemment résumé les conclusions 1 — il est
loin d'avoir offert autant d'intérêt que le Congrès littéraire,
présidé au Châtelet par Victor Hugo, que le Congrès de la
propriété industrielle, qui a eu lieu au Trocadéro , et il
s'en faut de beaucoup qu'il ait effacé le souvenir du premier
Congrès international de la propriété artistique littéraire tenu à
Bruxelles en 1858, et même du second qui se réunit à Anvers
en 1861.
L'assemblée n'était pas très-nombreuse. Les notabilités
étrangères, qui sont un des principaux éléments d'attraction de
ces meetings cosmopolites, y étaient assez clair-semées. Enfin le
1. Voir l'Art, 4' année, tome III, page 68.
Congrès s'est mépris sur un point essentiel, en attachant trop
d'importance à ses votes, pas assez à ses discours, c'est-à-dire à
l'exposé des motifs de ses délibérations.
Dans une assemblée politique, issue d'une élection régulière,
dont chaque membre représente en thèse générale le pays tout
entier et spécialement un certain groupe de mandants, on con-
çoit que les votes aient plus d'importance que les discours ; et
encore, même dans les contrées les moins friandes d'éloquence,
et quelque antipathie qu'inspire le verbiage parlementaire, les
résolutions qui ne sont point précédées d'une discussion publi-
que sérieuse et approfondie n'ont qu'une médiocre valeur aux
yeux du gouvernement appelé à les exécuter, ou de la nation
invitée à les subir.
Mais dans un Congrès, et surtout dans un Congrès interna-
tional, dans une de ces assemblées libres où chacun tient en
réalité son mandat de lui-même, où le versement d'une cotisation
de 12 francs donne aux simples curieux les mêmes droits qu'aux
compétences les plus notoires, où\e vote n'est en fin de compte
que l'expression d'une majorité de hasard, sans délégation