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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 4.1878 (Teil 4)

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Art Musical: Le "Polyeucte" de Gounod à l'Opera
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https://doi.org/10.11588/diglit.16911#0088

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70 L'ART.

cavatine qui paraît avoir subi une coupure assez inexplicable,
car le fragment supprime' n'est pas à dédaigner. L'invocation de
Pauline à Vesta est chaste et touchante ; en e'coutant cette mélo-
die statuaire, pudiquement drapée, on pense involontairement
aux chefs-d'œuvre de Gluck et de Spontini, ou bien encore aux
mystères sacrés que Mozart a poétiquement évoqués dans la
Flûte enchantée ; ce n'est pas une copie, mais c'est la même
source d'inspiration. Puis vient le duo entre Pauline et Sévère
qui a conquis, dès le premier soir, les plus chaleureux applau-
dissements. L'élégante mélancolie de la première phrase, exposée
isolément par chacun des personnages, et reprise par tous deux
en canon, est d'un effet pénétrant, irrésistible ; elle rend sur-
tout à merveille cette plainte que Corneille prête à Sévère :

O trop aimable objet qui m'avez trop charmé,
Est-ce là comme on aime, et m'avez-vous aimé ?

Les récits dialogués qui précipitent la victoire de l'épouse
et la soumission de l'amant évincé ont de la noblesse et de
l'émotion. Le tempo risoluto de la fin semble animé par la
flamme qui brille sur l'autel de Vesta.

La scène change, et nous voici dans un site sauvage entouré
de roches et traversé par un fleuve dont le clair de lune argenté
les flots. Une barque portant des jeunes gens et des femmes
nonchalamment étendus descend lentement le courant. Un
jeune patricien, Sextus, chante une barcarolle, dont nous avons
déjà dit un mot à propos du livret ; musique rêveuse, délicate,
dont le chanteur, M. Bosquin, affligé d'une diction monotone,
n'a pas fait valoir la finesse aristocratique. Ce Sextus n'est peut-
être qu'un libertin sceptique ; il ne croit plus beaucoup aux
nymphes et aux naïades, mais cette mythologie l'amuse encore,
et à entendre M. Bosquin, on dirait presque qu'elle le fait
bâiller. Heureusement le public a deviné tout ce que dissimulait
l'insuffisance de l'interprétation.

Il n'en est pas de même de la scène du baptême, à laquelle
d'abord on n'a rien compris. Et pourtant, d'après les échos des
répétitions, cette scène était considérée à l'avance comme le
chef-d'œuvre de l'ouvrage. Le premier soir elle a paru longue,
froide, monochrome. Mais une coupure, d'autant plus explicable,
celle-là, qu'elle porte sur une addition de complaisance, a réta-
bli l'équilibre de Ja scène qui a été l'un des plus grands effets
des représentations suivantes. La marche religieuse groupe les
chrétiens autour de leur prêtre. Puis une prière pour les morts
se déploie avec une onction profonde sur deux notes dont
l'harmonie varie à l'infini. Polyeucte arrive, conduit par
Néarque. Pendant qu'il reçoit le baptême, Sévère, trop peu
caché au fond de la scène,— car il est impossible qu'il échappe aux
regards soupçonneux des chrétiens, — suit de loin toute la céré-
monie de l'initiation. Polyeucte se relève salué par ses frères
dont les « Gloire à Dieu » se balancent sur une progression dia-
tonique qui a l'allure de l'encensoir. Enfin un chant extatique
de Polyeucte monte chromatiquement jusqu'au ciel sur un dessin
d'orchestre qui en encourage les élans, tandis qu'un chœur reli-
gieux d'un beau caractère vient, en quelque sorte, couronner
l'exaltation dont son âme est remplie. L'émotion de l'interprète
avait terni l'effet de ce dernier morceau et contribué à glacer
l'eau baptismale qui ne peut se répandre sur la scène et l'inon-
der de ferveur pieuse qu'à la condition de ne pas geler. Mainte-
nant que cette émotion s'est dissipée, le succès ira crescendo
comme la scène elle-même, qui, conçue avec une noble simpli-
cité, magistralement écrite, s'impose par la sincérité de la con-
viction.

Avions-nous tort de rendre hommage aux mérites excep-
tionnels de ce second acte, d'une richesse et d'une variété
remarquables, et dont l'intérêt se soutient et s'accroît depuis la
première note jusqu'à la dernière, depuis le petit chœur du
festin jusqu'à la grande scène du baptême?

Au troisième acte, premier tableau, nouvelle cavatine de
Sévère, suppliant Polyeucte de ne pas braver le péril, et de

faire à l'amour de Pauline le sacrifice sinon de sa foi au moins
de son trépas :

Elle ne voit que vous, je ne vois qu'elle
Et vous ne voyez que la mort.

Cette cantilène est faite de deux mouvements ; le premier,
plus noble, plus romain, est du héros qui représente à Mélitène
l'empereur Décie; le second, très-applaudi, et plus précieux
dans son élégance madrigalesque, nous rappelle que le Sévère
de Corneille avait des accointances avec l'hôtel de Rambouillet.

Qu'est-ce donc sinon un madrigal affecté que ce distique
qui, pour être de Corneille, n'en est pas plus cornélien :

Je n'aurais adoré que l'éclat de ses yeux

J'en aurais fait mes rois, j'en aurais fait mes dieux.

Les deux traits caractéristiques de la physionomie de Sévère
sont fidèlement reproduits dans cette cantilène qui achève la
ressemblance du personnage, interprété avec un remarquable
talent par M. Lassalle. L'excellent baryton n'a pas seulement
la voix et le style de son rôle musical ; il a l'intelligence et
jusqu'à la plastique de son rôle littéraire. En le voyant appa-
raître au premier acte, nous entendions quelqu'un s'écrier :
« On dirait la statue de Lucius Verus descendue de son piédes-
tal. »

Moins ressemblant le duo de Polyeucte et Néarque dont
nous n'avons plus rien à dire.

Au troisième acte, deuxième tableau, la marche de la pro-
cession sacrée, qui défile dans un beau décor de MM. Rubé et
Chaperon imité du forum romain, est peut-être plus musicale
que celle du premier acte, si elle est moins brillante.

Le ballet se compose de petits tableaux symphoniques spiri-
tuellement touchés et de la coloration la plus fine. Nous aimons
surtout les deux épisodes du dieu Pan : l'invocation, une buco-
lique virgilienne, d'une "grâce lumineuse, faite de rien et disant
tout ; la danse pastorale tournoyant comme une farandole an-
tique autour de l'apparition du dieu, piquante combinaison de
trois motifs qui se poursuivent et se fuient dans un tourbillon
de sonorités poudreuses comme le sol frémissant sous le talon
des danseurs. Une phrase obstinée des cors, reprise par les
trombones, donne l'unité à cet amusant tohu-bohu, un des plus
délicieux caprices que la muse païenne ait inspirés au compo-
siteur. L'apparition de Vénus n'a pas moins de charme et de
fantaisie. Quel dommage que la banalité du divertissement gâte
l'effet de cette musique si artiste ! Ces pas d'Alhambra ont
traîné partout. Et quel singulier choix de costumes, quel étrange
papillotage de couleurs. Va pour le papillotage quand on
monte le Fandango ; cela vous a un petit air Fortuny tout à
fait en situation. Mais ici, à Mélitène, à deux pas de la Grèce
classique, dans un ballet qui se danse en l'honneur des dieux de
l'Olympe ! Des ors violents que la lumière électrique fait scintil-
ler comme des miroirs aux alouettes, des verts arsénicaux, des
rouges cerise du ton le plus vulgaire, des roses pommadées,
des bleus de chez Boissier ! Cette orgie acide et fade à la fois est
meurtrière aux rétines les moins sensibles. Il n'y a donc pas un
peintre à l'Opéra pour régler le ballet au point de vue non pas
de la danse,' mais du tableau? On ferait mieux de laisser aux
théâtres de féeries ces coûteuses platitudes. Une danseuse espa-
gnole qui arrive de Milan, M110 Rosita Mauri, est l'étoile de
cette chorégraphie triviale. Ce n'est pas précisément une Vénus,
mais c'est une agréable ballerine, douée de qualités qui ont bien
leur prix dans un ballet vraiment musical, une rare souplesse
rhythmique et une incomparable précision de mesure.

Nous avons entendu, à la fin du prélude, le choral qui ter-
minait le ballet. C'est là une sorte d'énigme. Pourquoi un choral,
presque un Credo? Le compositeur aura voulu apparemment
accentuer le cachet religieux de ce divertissement qui est un
hommage aux dieux, ou bien annoncer la lutte imminente entre
les deux cultes. Voici le grand prêtre qui sort du temple. Nous
 
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