170 L'ART.
de cristal à travers les coteaux boisés du Pardo, comme pour étancher la soif des daims harcelés
par les rois chasseurs, et borde les allées d'ormes géants de la Virgen del Puerto, où fourmillait la
bruyante soldatesque enrôlée pour les Flandres et l'Italie.
Sur les commandes du roi, — toujours renouvelées, et dont le payement, lorsque l'œuvre ne
rentrait pas dans les devoirs de la charge de peintre ordinaire, donnait toujours lieu à des plaintes
amères de la part des pauvres artistes, — Jules-César Semin venait de décorer de belles
peintures, à la détrempe et à l'huile, le boudoir de la reine et toute la galerie du couchant sur les
jardins ; Angelo Nardi avait étalé son génie en couvrant de compositions fantastiques, et par le
même procédé, les murs du dortoir, de la salle à souper et de la tour où le roi avait placé son
cabinet de travail; Francisco Rizzi et Pedro Nunez d'entasser des merveilles de peinture décorative
dans le frontispice et les décors d'un charmant théâtre, improvisé dans un salon de la nouvelle
bâtisse pour célébrer, à grand renfort de comédies, de cantates et de mascarades, la fête de la reine
Marie-Anne d'Autriche; les Italiens Colonna et Mitelli, finalement, se préparaient ensemble à décorer
plusieurs pièces du re^-de-chaussée, et la grande salle du premier étage, avec des fresques où ils
devaient représenter, au milieu de belles scénographies d'architecture et d'ornementation de toute
sorte, adaptées aux parois et aux plafonds, le Jour, la Nuit, la Chute de Phaéton, la Fable de
Pandore, et puis des médaillons de bronze rehaussés d'or, des festons, des écussons , des
trophées, des nymphes, des faunes, des amours grimpant sur les corniches et se balançant dans
les guirlandes, — le tout selon les devis et les plans de Velazquez, directeur obligé de ces
embellissements, et dont la verve décorative était inépuisable.
Or, tandis que tous ces peintres (et quelques autres dont les noms et les œuvres ne nous
sont révélés que par le dépouillement de certains documents encore inédits des Archives du
Palais) se chargeaient de couvrir d'attrayantes fictions les surfaces planes et les voûtes de
l'Alcazar métamorphosé, imaginant des perspectives somptueuses, des grottes fantastiques, de
fraîches fontaines, des colonnades et des portiques de marbre, des scènes mythologiques, etc., les
peintres d'histoire, Antonio Arias, Francisco Camilo, Félix Castello, José Leonardo, Alonso Cano,
Francisco Polo, — et Don Diego Velazquez de Silva à la tête de toute cette brillante cohorte,—
complétaient, chacun avec son contingent de portraits et de tableaux historiques, profanes ou
religieux, l'œuvre qui devait faire, non-seulement des appartements de Philippe IV et de son
épouse, mais aussi de la Chapelle et du Reliquaire, des nouveaux salons du palais, voire même
de ses corridors et de ses galeries secondaires, de véritables trésors d'art. On s'évertuait à
peupler de figures vivantes tous les espaces ménagés pour les tableaux mobiles, et selon le plus
ou moins d'importance de l'endroit qu'il s'agissait de garnir, on exécutait tantôt une suite de
fables mythologiques, ou bien des grands faits d'armes, tantôt des portraits en pied ou équestres
faisant pendant, plus loin enfin des images moins respectables et plus amusantes des hommes de
plaisir (Jiombres de placer) ou bouffons, qui déridaient un peu la sévérité de la cour et la morgue
de son étiquette. C'est ainsi, c'est à ce point de vue de simple décoration naturelle qu'il faut
considérer un grand nombre des toiles qu'exécuta Velazquez pour les palais de Madrid, du
Buen Retiro, de la Parada, etc., et particulièrement ces portraits de nains, de jocrisses et de
truands qui procuraient des loisirs, la plupart du temps assez maussades, à l'auguste famille de
son protecteur, et les images idéales de personnages célèbres parmi lesquelles figurent Y Esope et
le Ménippe du Musée du Prado.
Nous nous imaginons le roi causant avec son peintre favori, tandis que celui-ci, en sa qualité
cYAposentador Mayor1, surveillait l'entretien et l'aménagement de toutes les collections d'objets
d'art des palais royaux, et recherchant avec lui les moyens d'orner le corridor où les inventaires
de l'époque nous montrent ces deux toiles2. Déjà Velazquez avait réussi à immortaliser la
trompeuse physionomie et l'esprit narquois de Pablillos de Valladolid, de Pernia, du nommé
Juan de Austria, du Primo, de Sebastien de Morra, $ Antonio el Inglés, du Nino de Vallecas,
1. Littéralement grand maréchal des logis, c'est-à-dire « grand maréchal des palais royaux ».
2. Archives de la Couronne, déjà citées.
de cristal à travers les coteaux boisés du Pardo, comme pour étancher la soif des daims harcelés
par les rois chasseurs, et borde les allées d'ormes géants de la Virgen del Puerto, où fourmillait la
bruyante soldatesque enrôlée pour les Flandres et l'Italie.
Sur les commandes du roi, — toujours renouvelées, et dont le payement, lorsque l'œuvre ne
rentrait pas dans les devoirs de la charge de peintre ordinaire, donnait toujours lieu à des plaintes
amères de la part des pauvres artistes, — Jules-César Semin venait de décorer de belles
peintures, à la détrempe et à l'huile, le boudoir de la reine et toute la galerie du couchant sur les
jardins ; Angelo Nardi avait étalé son génie en couvrant de compositions fantastiques, et par le
même procédé, les murs du dortoir, de la salle à souper et de la tour où le roi avait placé son
cabinet de travail; Francisco Rizzi et Pedro Nunez d'entasser des merveilles de peinture décorative
dans le frontispice et les décors d'un charmant théâtre, improvisé dans un salon de la nouvelle
bâtisse pour célébrer, à grand renfort de comédies, de cantates et de mascarades, la fête de la reine
Marie-Anne d'Autriche; les Italiens Colonna et Mitelli, finalement, se préparaient ensemble à décorer
plusieurs pièces du re^-de-chaussée, et la grande salle du premier étage, avec des fresques où ils
devaient représenter, au milieu de belles scénographies d'architecture et d'ornementation de toute
sorte, adaptées aux parois et aux plafonds, le Jour, la Nuit, la Chute de Phaéton, la Fable de
Pandore, et puis des médaillons de bronze rehaussés d'or, des festons, des écussons , des
trophées, des nymphes, des faunes, des amours grimpant sur les corniches et se balançant dans
les guirlandes, — le tout selon les devis et les plans de Velazquez, directeur obligé de ces
embellissements, et dont la verve décorative était inépuisable.
Or, tandis que tous ces peintres (et quelques autres dont les noms et les œuvres ne nous
sont révélés que par le dépouillement de certains documents encore inédits des Archives du
Palais) se chargeaient de couvrir d'attrayantes fictions les surfaces planes et les voûtes de
l'Alcazar métamorphosé, imaginant des perspectives somptueuses, des grottes fantastiques, de
fraîches fontaines, des colonnades et des portiques de marbre, des scènes mythologiques, etc., les
peintres d'histoire, Antonio Arias, Francisco Camilo, Félix Castello, José Leonardo, Alonso Cano,
Francisco Polo, — et Don Diego Velazquez de Silva à la tête de toute cette brillante cohorte,—
complétaient, chacun avec son contingent de portraits et de tableaux historiques, profanes ou
religieux, l'œuvre qui devait faire, non-seulement des appartements de Philippe IV et de son
épouse, mais aussi de la Chapelle et du Reliquaire, des nouveaux salons du palais, voire même
de ses corridors et de ses galeries secondaires, de véritables trésors d'art. On s'évertuait à
peupler de figures vivantes tous les espaces ménagés pour les tableaux mobiles, et selon le plus
ou moins d'importance de l'endroit qu'il s'agissait de garnir, on exécutait tantôt une suite de
fables mythologiques, ou bien des grands faits d'armes, tantôt des portraits en pied ou équestres
faisant pendant, plus loin enfin des images moins respectables et plus amusantes des hommes de
plaisir (Jiombres de placer) ou bouffons, qui déridaient un peu la sévérité de la cour et la morgue
de son étiquette. C'est ainsi, c'est à ce point de vue de simple décoration naturelle qu'il faut
considérer un grand nombre des toiles qu'exécuta Velazquez pour les palais de Madrid, du
Buen Retiro, de la Parada, etc., et particulièrement ces portraits de nains, de jocrisses et de
truands qui procuraient des loisirs, la plupart du temps assez maussades, à l'auguste famille de
son protecteur, et les images idéales de personnages célèbres parmi lesquelles figurent Y Esope et
le Ménippe du Musée du Prado.
Nous nous imaginons le roi causant avec son peintre favori, tandis que celui-ci, en sa qualité
cYAposentador Mayor1, surveillait l'entretien et l'aménagement de toutes les collections d'objets
d'art des palais royaux, et recherchant avec lui les moyens d'orner le corridor où les inventaires
de l'époque nous montrent ces deux toiles2. Déjà Velazquez avait réussi à immortaliser la
trompeuse physionomie et l'esprit narquois de Pablillos de Valladolid, de Pernia, du nommé
Juan de Austria, du Primo, de Sebastien de Morra, $ Antonio el Inglés, du Nino de Vallecas,
1. Littéralement grand maréchal des logis, c'est-à-dire « grand maréchal des palais royaux ».
2. Archives de la Couronne, déjà citées.