142 L'ART.
récent, publié dans un recueil périodique d'Amsterdam1, par M. J. H. W. Unger, est venu
justifier les présomptions des critiques qui, sans pouvoir rétablir sûrement, pensaient que
Brauwer avait dû rester assez longtemps à Harlem. Il s'agit de la dédicace d'une comédie que
le poète Nootmaas, son auteur, adressait encore, à la date du 10 mars 1627, « au jeune et
célèbre peintre, Adrien Brauwer de Harlem ». En 1631 nous trouvons l'artiste établi à Anvers
et admis, vers la fin de cette année, dans la Gilde de Saint-Luc où, malgré sa vie assez déré-
glée, son talent et sans doute aussi l'amabilité de son caractère lui valaient l'amitié de Van Dyck,
qui dessinait son portrait pour la gravure de Bolswert, et celle de Rubens lui-même, qui se
constituait son patron et montrait tout le cas qu'il faisait de lui en réunissant jusqu'à dix-sept de
ses ouvrages2.
Nulle part aussi bien qu'à la Pinacothèque on ne peut se rendre - compte de la valeur de
Brauwer et dans aucun musée on ne rencontrerait une collection aussi nombreuse de ses œuvres.
Il n'y en a pas moins de dix-sept, en effet, ■—■ le même total qu'avait atteint Rubens, — et, parmi
elles, quelques-unes des plus importantes et des meilleures peintures du peintre. Elève de Hais,
Brauwer nous montre dans son exécution quelques-unes des plus brillantes qualités de son maître,
particulièrement cette touche spirituelle, décidée, d'une sûreté si magistrale dans son apparent
abandon. Malheureusement Brauwer, trop fidèle imitateur de Hais sur ce point, lui empruntait aussi
ses goûts de dissipation et ses habitudes peu correctes. Comme lui, il hantait les tavernes et les
mauvais lieux et, après avoir eu plus d'une fois maille à partir avec la justice, comme lui encore
il devait mourir insolvable. Mais jusque dans les bouges où il nous introduit et qui, presque
toujours, lui ont fourni les données de ses tableaux, le jeune artiste garde l'élégance de' sa
facture, son dessin vivant et expressif, l'exquise délicatesse d'un coloris dans lequel, bien à tort
suivant nous, on a cherché à reconnaître l'influence de Rubens. Qu'on relève cette influence
chez Teniers, rien de mieux ; mais le coloriste chez Brauwer nous paraît singulièrement plus fin
et absolument personnel. Avec quelques tons légers et tendres, des roses ou des jaunes pâles
discrètement ménagés qui contrastent avec la chaude transparence de ses fonds, il compose des
harmonies d'une extrême distinction. Dans ses Joueurs de cartes — dont grâce à la gravure
de M. Rohr nous pouvons mettre sous les yeux de nos lecteurs une fidèle reproduction —■ le
costume vert passé de l'un des personnages, le linge bleu qui recouvre la table et le pot verdâtre
posé à côté, par terre, forment un assemblage de nuances délicieuses dont, par une habile oppo-
sition, la toque rouge de ce personnage fait valoir tout le charme.
Si humbles que soient ses modèles, on sent d'ailleurs que Brauwer s'intéresse à eux. C'est
avec une sympathie réelle que ce bon compagnon nous retrace les petits bonheurs de leur vie.
Est-il joie comparable à celle de cet autre joueur qui, la pipe entre les dents, un verre plein à
la main, rit aux atouts qui garnissent son jeu et plaisante son adversaire ! Que de contentements
on peut goûter, des plus variés et des moins coûteux, dans ces logis hospitaliers : se délecter aux
comiques récits que l'on écoute le dos tourné au feu; ou bien encore, dormir à poings fermés
d'un de ces sommeils béats qui, ici-bas, sont bien plus le privilège des ivrognes que des vertueux!
Dans ces divertissements, les arts ont aussi leur place, et quand on est en belle humeur, il n'est
plus agréable passe-temps que la musique : témoin ce virtuose (n° 884) qui, une cruche à sa
portée, racle allègrement son violon, tandis que trois de ses amis braillent à qui mieux, en
faisant mine, les malins, de déchiffrer leurs notes sur un chiffon de papier. Il est vrai que, même
sans parler du quart d'heure de la fin, il y a parfois de mauvais moments et que tout n'est pas
rose dans ces existences. On y est exposé à d'assez vilaines aventures, car voici des flibustiers de
mine peu rassurante qui dévalisent au jeu un benêt qui est tombé entre leurs mains (n° 893), et
plus loin une terrible Rixe (n° 882) dans laquelle, pour de futiles prétextes, de méchants gars
tapent à tour de bras et cassent le mobilier de l'établissement sur la tête des gens les plus
inoffensifs. Restent aussi, comme ombre au tableau, la question des maladies et celle des remèdes
1. Oud-Holland, 5' année. Fr. Binger, Amsterdam, i885.
2. Rembrandt, on le sait, n'appréciait pas moins le talent de Brauwer; six de ses peintures, deux copies d'après lui et un grand nombre
de ses dessins figurent dans l'inventaire dressé au moment de la vente des collections de Rembrandt.
récent, publié dans un recueil périodique d'Amsterdam1, par M. J. H. W. Unger, est venu
justifier les présomptions des critiques qui, sans pouvoir rétablir sûrement, pensaient que
Brauwer avait dû rester assez longtemps à Harlem. Il s'agit de la dédicace d'une comédie que
le poète Nootmaas, son auteur, adressait encore, à la date du 10 mars 1627, « au jeune et
célèbre peintre, Adrien Brauwer de Harlem ». En 1631 nous trouvons l'artiste établi à Anvers
et admis, vers la fin de cette année, dans la Gilde de Saint-Luc où, malgré sa vie assez déré-
glée, son talent et sans doute aussi l'amabilité de son caractère lui valaient l'amitié de Van Dyck,
qui dessinait son portrait pour la gravure de Bolswert, et celle de Rubens lui-même, qui se
constituait son patron et montrait tout le cas qu'il faisait de lui en réunissant jusqu'à dix-sept de
ses ouvrages2.
Nulle part aussi bien qu'à la Pinacothèque on ne peut se rendre - compte de la valeur de
Brauwer et dans aucun musée on ne rencontrerait une collection aussi nombreuse de ses œuvres.
Il n'y en a pas moins de dix-sept, en effet, ■—■ le même total qu'avait atteint Rubens, — et, parmi
elles, quelques-unes des plus importantes et des meilleures peintures du peintre. Elève de Hais,
Brauwer nous montre dans son exécution quelques-unes des plus brillantes qualités de son maître,
particulièrement cette touche spirituelle, décidée, d'une sûreté si magistrale dans son apparent
abandon. Malheureusement Brauwer, trop fidèle imitateur de Hais sur ce point, lui empruntait aussi
ses goûts de dissipation et ses habitudes peu correctes. Comme lui, il hantait les tavernes et les
mauvais lieux et, après avoir eu plus d'une fois maille à partir avec la justice, comme lui encore
il devait mourir insolvable. Mais jusque dans les bouges où il nous introduit et qui, presque
toujours, lui ont fourni les données de ses tableaux, le jeune artiste garde l'élégance de' sa
facture, son dessin vivant et expressif, l'exquise délicatesse d'un coloris dans lequel, bien à tort
suivant nous, on a cherché à reconnaître l'influence de Rubens. Qu'on relève cette influence
chez Teniers, rien de mieux ; mais le coloriste chez Brauwer nous paraît singulièrement plus fin
et absolument personnel. Avec quelques tons légers et tendres, des roses ou des jaunes pâles
discrètement ménagés qui contrastent avec la chaude transparence de ses fonds, il compose des
harmonies d'une extrême distinction. Dans ses Joueurs de cartes — dont grâce à la gravure
de M. Rohr nous pouvons mettre sous les yeux de nos lecteurs une fidèle reproduction —■ le
costume vert passé de l'un des personnages, le linge bleu qui recouvre la table et le pot verdâtre
posé à côté, par terre, forment un assemblage de nuances délicieuses dont, par une habile oppo-
sition, la toque rouge de ce personnage fait valoir tout le charme.
Si humbles que soient ses modèles, on sent d'ailleurs que Brauwer s'intéresse à eux. C'est
avec une sympathie réelle que ce bon compagnon nous retrace les petits bonheurs de leur vie.
Est-il joie comparable à celle de cet autre joueur qui, la pipe entre les dents, un verre plein à
la main, rit aux atouts qui garnissent son jeu et plaisante son adversaire ! Que de contentements
on peut goûter, des plus variés et des moins coûteux, dans ces logis hospitaliers : se délecter aux
comiques récits que l'on écoute le dos tourné au feu; ou bien encore, dormir à poings fermés
d'un de ces sommeils béats qui, ici-bas, sont bien plus le privilège des ivrognes que des vertueux!
Dans ces divertissements, les arts ont aussi leur place, et quand on est en belle humeur, il n'est
plus agréable passe-temps que la musique : témoin ce virtuose (n° 884) qui, une cruche à sa
portée, racle allègrement son violon, tandis que trois de ses amis braillent à qui mieux, en
faisant mine, les malins, de déchiffrer leurs notes sur un chiffon de papier. Il est vrai que, même
sans parler du quart d'heure de la fin, il y a parfois de mauvais moments et que tout n'est pas
rose dans ces existences. On y est exposé à d'assez vilaines aventures, car voici des flibustiers de
mine peu rassurante qui dévalisent au jeu un benêt qui est tombé entre leurs mains (n° 893), et
plus loin une terrible Rixe (n° 882) dans laquelle, pour de futiles prétextes, de méchants gars
tapent à tour de bras et cassent le mobilier de l'établissement sur la tête des gens les plus
inoffensifs. Restent aussi, comme ombre au tableau, la question des maladies et celle des remèdes
1. Oud-Holland, 5' année. Fr. Binger, Amsterdam, i885.
2. Rembrandt, on le sait, n'appréciait pas moins le talent de Brauwer; six de ses peintures, deux copies d'après lui et un grand nombre
de ses dessins figurent dans l'inventaire dressé au moment de la vente des collections de Rembrandt.