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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 11.1885 (Teil 2)

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Champfleury: La caricature au Japon
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https://doi.org/10.11588/diglit.19704#0279

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LA CARICATURE AU JAPON.

247

à d'amères récriminations, à des révoltes comme dans
les pays où il est appelé à fournir de la chair à canon.
La civilisation arrive toujours trop tôt avec ses codes,
son armée de fonctionnaires, ses impôts ; et c'est là la
première étape que poursuit le peuple japonais. Aussi
convient-il de l'étudier dans son passé, alors que la gaieté
régnait en souveraine sous le gouvernement des daïmios.

Je viens de visiter une fois de plus l'importante collec-
tion Cernuschi, que Paris possédera un jour par le testa-
ment du citoyen généreux mêlé si profondément à nos
luttes intestines, et qui cependant, connaissant bien la
nature française avec ses défauts, n'a voulu se souvenir
que de ses qualités.

Ce qui me frappe par-dessus tout dans le Musée
Cernuschi est un détail qui concorde avec mon sujet et
par là prime le reste pour moi. Sur certaines figurines
éclate une expression de gaieté qu'il me paraît difficile de
retrouver avec la même intensité chez un autre peuple.

L'idéal du rire, je l'ai poursuivi pendant une vingtaine.

La femme prête si peu au grotesque que nos caricatu-
ristes hésitent à déformer les traits d'une célébrité fémi-
nine lorsqu'ils font figurer dans leur Panthéon de la
charge les plus grandes et les plus respectables figures.
Au théâtre, c'est une exception que l'actrice qui a le véri-
table sens du comique, et elles ne comptent que bien
incidemment les comédiennes qui peuvent rivaliser avec
les amuseurs des scènes de second ordre. C'est qu'un rien
suffit pour que la femme perde sa nature délicate et
devienne presque répulsive si elle prend une part trop
directe aux propos scabreux de Tabarin, de Gorju et de
Gros-Guillaume.

Okamé, dans son hilarité qui se communique aux
joues, n'offre certes pas la distinction des dames d'honneur
à la cour; mais elle est pleine de bonhomie. Son épanouis-
sement est candide comme chez toutes les grosses per-
sonnes très étoffées en chair, qui semblent avoir en
privilège une douceur inaltérable.

D'après une ancienne légende japonaise, lorsque
d'années, plus en archéologue qu'en esthéticien ; ses |' Amatcras aux longs cheveux, personnification du Soleil,
diverses formes je les ai se retira triste et confus (?)

recherchées, de Maccus à dans une grotte sombre

Punch, chez les anciens ^^'^ qu'il ne voulait plus quit-

et les modernes. Les Japo- ter, la bonne Okamé, te-

nais pourraient concourir nanten main le sistre sacré,

pour le prix du rire et f/ÉtÊÊ&fo* \ - Jf vml danser devani l'ou-

fournir aux physiologistes ^hH^HK^X ' ■ j| verture de la grotte. En

le sujet d'une thèse sur //£|L ^^BH*a jj voyant le sourire épanoui

l'expansion, l'hilarité sans g, JhOk ll^k c'e 'a grossc personne, le

bornes considérées comme «btIb^ / ^ï^r II Soleil, honteux de sa mé-

une source de santé inal- jgf ffil ; . J\ a lancolie, se montra de

térable. S^/IIl Çf^i0*!*m if nouveau.

Le rire chez la femme, Jr'^f^àjr^k - '.H Okamé enlevant le

dans tout son épanouisse- ^#<>s**TBk qjgP^ ËÊ Soleil à sa torpeur esl

ment, n'a guère été indiqué ' TmV 'JMiI restée, rien que pour ce

que par les Japonais; aussi jÊL jftwï fait, la favorite des Japo-

ont-ils représenté cette Jp In • Jaum I nais; ils sourient en 1.'

accentuation de la gaieté Jï .jfiBffltl . , ■ regardant ; elle rit des ma-

sous toutes les formes, et // wB*ÉMr lices du peuple qui l'adore;

l'ont-ils peinte, sculptée, // M TIUT^ avec elle, tout est permis ;

gravée, confiant à l'ivoire, • . ^8^^ aussi, le peintre Hokou-

au pinceau, à la pointe la Saï s'en est-il diverti dans

mission de porter au delà Courtisane japonaise, ses albums comme un chat

1 11 , d'après Hokou-Saï. . •

des mers la bonne humeur qui joue avec une grosse

féminine de leur nation. pelote de laine.

Bien différents en ceci de nos aïeux qui se complai-

La femme européenne est distraite parfois par un trait
d'esprit; elle s'en amuse un moment; mais il lui manque
cette violence d'hilarité réservée à l'homme qui, pensant
fortement, ayant plus de soucis, est parfois délassé et
enlevé à la poursuite de graves intérêts par la bienveil-
lante nature si sagement pondératrice qui lui a permis de
« rire à ventre déboutonné ».

Je n'ai guère constaté qu'une fois en France cette
bruyante et bienheureuse gaieté chez la femme. On jouait
le Bourgeois gentilhomme au Théâtre-Français un diman-
che, en matinée. Au balcon, une femme delà bourgeoisie,
sans doute peu blasée par l'abus des spectacles, se laissait
aller « toute à la joie » sans s'inquiéter si elle troublait par
des rires immodérés les acteurs et le public.

Je crus entendre ce jour-là la bonne Okamé, la plus
joufflue, la plus joyeuse des Japonaises, celle que le peintre
Hokou-Saï et ses imitateurs ont représentée si épanouie,
avec une telle bonne humeur qu'elle ferait sourire un
misanthrope.

Les historiens parlent d'un temple romain consacré au
Rire; Okamé serait digne d'en être la déesse. Quelle salu-
taire impression en eussent reçu ceux qui entraient dans
le sanctuaire le teint jaune, le front plissé !

saient à représenter dans leurs facéties la bonne femme par
une femme sans tête, les peintres japonais ont doté le
masque d'Okamé d'une configuration très développée en
forme de poire, et il n'est pas rare sur les enseignes de
trouver une de ces aimables créatures accotée de deux
autres petites rieuses de la même famille L

On m'objectera peut-être que les mêmes albums
d'Hokou-Saï, sur lesquels je reviendrai à propos des
grasses au Japon, sont remplis d'élégantes créatures, sveltes,
fines, qui font penser à la fois aux femmes de Tanagra
et de Germain Pilon. Courtisanes séduisantes en effet qui,
enveloppées dans leurs robes traînantes, laissent entrevoir
des corps allongés que d'autres dessinateurs ont montrés
nus au bain, sans autres voiles qu'un morceau d'étoffe
dans leur petite bouche de cerise ; créatures singulières
qui, mêlées à des drames terribles avec de féroces porteurs
de sabres, semblent des femmes peintes sur des vases
grecs, mêlées à des scènes mythiques et à des mystères reli-
gieux.

De ces Japonaises si séduisantes, je crains qu'il ne

1. J'ai donné au Musée ethnographique du Trocadéro une
enseigne de cette nature.
 
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