ET DE LA CURIOSITÉ
91
personnel, que d’un principe juste et du souci du
maintien de notre suprématie d’art, exposent mal-
gré la situation faite à l’art décoratif français.
Veuillez agréer, Monsieur le Commissaire, avec
mes regrets, l’expression de mon profond respect.
Carabin. »
--
A propos de l’Enseigne de Gersaint
Le rapprochement que nous avons fait à Berlin
entre les dimensions indiquées dans la légende de
la gravure d’Aveline et celles des deux tableaux de
l’empereur d’Allemagne rapprochés avait déjà été
signalé par M. Ferdinand Laban dans le Jahr-
buch der kœniglich Preussischen Kunstsamm-
lungen, 1900, p. 54 et 59.
Une faute d’impression a dénaturé le nom du di-
recteur de l’Académie des Beaux-Arts : c’est M.
Karnpf, et non Rampf, qu’il faut lire.
-J. G .
Le Vernissage du Salon des Indépendants
Il faut voir le signe d’un même état d’esprit dans
les revendications qui ont dicté la réforme de l’en-
seignement du dessin et dans le crédit nouveau qui
s’attache aux expositions indépendantes. Départ et
d’autre, la spontanéité de l’instinct et du libre
arbitre se trouve mise en cause ; c’est elle que l’on
entend sauvegarder, développer et produire. Au
temps du réalisme et de Claude Bernard,le prestige
de la méthode expérimentale exigeait de placer
l’art sous la tutelle de la science, de seconder
par le contrôle du fil à plomb et du compas
la reproduction exacte des apparences, à quoi
l'art semblait se limiter. Cet idéal de correc-
tion qui requiert de la docilité, de l’application,
beaucoup d’acquis et point de dons, n’a pas su
satisfaire les générations suivantes ; d’après elles,
l’art est le témoignage extérieur de la sensibilité ;
loin de se plier à la loi de règles communes, ses
modes de révélation doivent varier selon l’orga-
nisme, selon l’instinct de chaque individu. Ainsi
s’est imposée la conscience des libertés nécessaires
à la pleine expansion de la personnalité.
Le vingt-sixième Salon des Indépendants apporte
une contribution certaine à l’étude de ce mouvement
émancipateur ; débordant de jeunesse, de vie, il
fournit sur la fièvre des talents, sur l’inquiétude
des recherches, sur la variété des tendances, une
documentation que l’historien impartial n’a pas le
droit de négliger et dont il ne saurait guère
trouver l’équivalent. Voilà l’effet incomparable,
unique, de l’admission globale; il suffit à défen-
dre contre toutes les attaques le principe des ex-
positions ouvertes; il dispense de rappeler les
maîtres illustres à qui elles ont offert la tribune
où ils purent manifester. Un si précieux avan-
tage ne s’obtient pas sans retour, sans rançon : le
visiteur assume la responsabilité inusitée de ne
relever que delui-même ; ileonstitue sonproprejury ;
il accepte de procéder au tri de 5.669 ouvrages.
Opération longue, fastidieuse, où l’attention doit
toujours être aux aguets et la sympathie rester
prête à leveil, malgré la fatigue et la fréquence
des déceptions...
L’insensibilité et l'impuissance constituent le
mal commun; elles frappent d’autant plus quelles
n’empruntent en ce lieu, pour se dissimuler, aucun
des artifices qui masquent ailleurs le manque de
vocation. Pareillement, le pastiche ne connaît pas
ici de vergogne; les uns s’attardent à de patientes
copies de gravures ou bien à de lamentables agran-
dissements photographiques ; d’autres contrefont
avec sérénité Iienner, Fantin-Latour ou M. Luigi
Loir; de plus modernes demandent le secret de
leur métier aux abréviations synthétiques des
dessins de M. Bodin et aux à-plats de M. van
Dongen... Il fallait ces constatations et ces exem-
ples pour rappeler combien une réunion libre
d’œuvres est semblable à une foule humaine; par
bonheur, il n’est pas d'assemblée un peu nom-
breuse d’où l’on ne puisse extraire une élite.
Trois œuvres essentielles par la qualité du stylo
et l’intérêt de l’exécu tion résument ici trois écoles :
Le Port de Gènes, de M. Signac ; la touchante Nau-
sicaa, de M. Maurice Denis, et le Reflet, de
M. Manguin. Autour de leurs auteurs se rangent
les adeptes du néo-impressionnisme (1), les maî-
tres du symbolisme (2) et ceux qui firent honneur
aux enseignements généreux de Gustave Moreau
(3). Il s'agit là d'artistes en renom mais qui aiment
se retrouver périodiquement à ce Salon témoin de
leurs débuts. D’autres peintres, que ne rattache le
lien d’aucune esthétique et dont l’originalité
nettement tranchée rend la rencontre toujours
précieuse, offrent l’amusant constate de leurs ma-
nières violentes, apaisées ou discrètes (4). Avec le
concours de plusieurs d’entre eux se poursuit la
réaction fatale contre l’impressionnisme ; elle s’ac-
cuse par la haine de la nuance, par l’emploi du
ton pur, par le souci primordial de la ligne, |du
plan, du volume ; et le parti va jusqu'à l’outrance
dans certains tableaux où les figures semblent
établies à l’aide des bois équarris d’un jeu de
construction.
On a reproché aux peintres qui fréquentent ce
Salon de prendre le texte de leurs tableaux à portée
du regard et de mépriser l’invention. Par là s’ex-
plique la profusion d’académies, dénaturés mortes,
de paysages qui donnent à certaine travée l’aspect
cl’une paroi d’atelier tapissée d’ébauches. Cette fois
encore prédominent les ouvrages où la copie de la
réalité se recommande et se différencie par les
seuls agréments de la facture. Il y a dans cette
convoitise exclusive des beautés de métier une
limite, quelque chose d’humiliant pour l’esprit et
comme une menace de déchéance. D’aucuns s’en
émeuvent ; ils assurent que 1’interprétation n’est
pas tout ; ils protestent au nom de la pensée en exil ;
ils assurent que les qualités techniques connaî-
traient un bien autre lustre si elles venaient seconder
un dessein préconçu. Ge retour à la composition,
on le doit accueillir comme un signe de favorable
augure. MM. Dusouchet, Gaboriaud, Marinot,
Schnerb font sentir tout un prix. Il s’atteste
encore dans les grandes toiles de M. Chabaud, de
M. B.. Verdilhan ; l’exécution n’en parait barbare
que parce qu’il a manqué aux auteurs le champ 1
1. M. Luce, Angrand, Mlle Cousturier. — 2. MM.
Vuillard, Bonnard, Roussel, Sérusier. — 3. MM.
Marquet, Flandrin, Ilouault, Barwolff. — 4. MM.
Van Dongen, Manzana-Pissarro, Volot, de Vla-
rninck, Lebasque, Laprade, Suë, Puy, Girieud,
d'Espagnat, Dufresnoy, André Chapuy, Séon,
P.-L. Moreau, Charles Lacoste, André Barbier.
91
personnel, que d’un principe juste et du souci du
maintien de notre suprématie d’art, exposent mal-
gré la situation faite à l’art décoratif français.
Veuillez agréer, Monsieur le Commissaire, avec
mes regrets, l’expression de mon profond respect.
Carabin. »
--
A propos de l’Enseigne de Gersaint
Le rapprochement que nous avons fait à Berlin
entre les dimensions indiquées dans la légende de
la gravure d’Aveline et celles des deux tableaux de
l’empereur d’Allemagne rapprochés avait déjà été
signalé par M. Ferdinand Laban dans le Jahr-
buch der kœniglich Preussischen Kunstsamm-
lungen, 1900, p. 54 et 59.
Une faute d’impression a dénaturé le nom du di-
recteur de l’Académie des Beaux-Arts : c’est M.
Karnpf, et non Rampf, qu’il faut lire.
-J. G .
Le Vernissage du Salon des Indépendants
Il faut voir le signe d’un même état d’esprit dans
les revendications qui ont dicté la réforme de l’en-
seignement du dessin et dans le crédit nouveau qui
s’attache aux expositions indépendantes. Départ et
d’autre, la spontanéité de l’instinct et du libre
arbitre se trouve mise en cause ; c’est elle que l’on
entend sauvegarder, développer et produire. Au
temps du réalisme et de Claude Bernard,le prestige
de la méthode expérimentale exigeait de placer
l’art sous la tutelle de la science, de seconder
par le contrôle du fil à plomb et du compas
la reproduction exacte des apparences, à quoi
l'art semblait se limiter. Cet idéal de correc-
tion qui requiert de la docilité, de l’application,
beaucoup d’acquis et point de dons, n’a pas su
satisfaire les générations suivantes ; d’après elles,
l’art est le témoignage extérieur de la sensibilité ;
loin de se plier à la loi de règles communes, ses
modes de révélation doivent varier selon l’orga-
nisme, selon l’instinct de chaque individu. Ainsi
s’est imposée la conscience des libertés nécessaires
à la pleine expansion de la personnalité.
Le vingt-sixième Salon des Indépendants apporte
une contribution certaine à l’étude de ce mouvement
émancipateur ; débordant de jeunesse, de vie, il
fournit sur la fièvre des talents, sur l’inquiétude
des recherches, sur la variété des tendances, une
documentation que l’historien impartial n’a pas le
droit de négliger et dont il ne saurait guère
trouver l’équivalent. Voilà l’effet incomparable,
unique, de l’admission globale; il suffit à défen-
dre contre toutes les attaques le principe des ex-
positions ouvertes; il dispense de rappeler les
maîtres illustres à qui elles ont offert la tribune
où ils purent manifester. Un si précieux avan-
tage ne s’obtient pas sans retour, sans rançon : le
visiteur assume la responsabilité inusitée de ne
relever que delui-même ; ileonstitue sonproprejury ;
il accepte de procéder au tri de 5.669 ouvrages.
Opération longue, fastidieuse, où l’attention doit
toujours être aux aguets et la sympathie rester
prête à leveil, malgré la fatigue et la fréquence
des déceptions...
L’insensibilité et l'impuissance constituent le
mal commun; elles frappent d’autant plus quelles
n’empruntent en ce lieu, pour se dissimuler, aucun
des artifices qui masquent ailleurs le manque de
vocation. Pareillement, le pastiche ne connaît pas
ici de vergogne; les uns s’attardent à de patientes
copies de gravures ou bien à de lamentables agran-
dissements photographiques ; d’autres contrefont
avec sérénité Iienner, Fantin-Latour ou M. Luigi
Loir; de plus modernes demandent le secret de
leur métier aux abréviations synthétiques des
dessins de M. Bodin et aux à-plats de M. van
Dongen... Il fallait ces constatations et ces exem-
ples pour rappeler combien une réunion libre
d’œuvres est semblable à une foule humaine; par
bonheur, il n’est pas d'assemblée un peu nom-
breuse d’où l’on ne puisse extraire une élite.
Trois œuvres essentielles par la qualité du stylo
et l’intérêt de l’exécu tion résument ici trois écoles :
Le Port de Gènes, de M. Signac ; la touchante Nau-
sicaa, de M. Maurice Denis, et le Reflet, de
M. Manguin. Autour de leurs auteurs se rangent
les adeptes du néo-impressionnisme (1), les maî-
tres du symbolisme (2) et ceux qui firent honneur
aux enseignements généreux de Gustave Moreau
(3). Il s'agit là d'artistes en renom mais qui aiment
se retrouver périodiquement à ce Salon témoin de
leurs débuts. D’autres peintres, que ne rattache le
lien d’aucune esthétique et dont l’originalité
nettement tranchée rend la rencontre toujours
précieuse, offrent l’amusant constate de leurs ma-
nières violentes, apaisées ou discrètes (4). Avec le
concours de plusieurs d’entre eux se poursuit la
réaction fatale contre l’impressionnisme ; elle s’ac-
cuse par la haine de la nuance, par l’emploi du
ton pur, par le souci primordial de la ligne, |du
plan, du volume ; et le parti va jusqu'à l’outrance
dans certains tableaux où les figures semblent
établies à l’aide des bois équarris d’un jeu de
construction.
On a reproché aux peintres qui fréquentent ce
Salon de prendre le texte de leurs tableaux à portée
du regard et de mépriser l’invention. Par là s’ex-
plique la profusion d’académies, dénaturés mortes,
de paysages qui donnent à certaine travée l’aspect
cl’une paroi d’atelier tapissée d’ébauches. Cette fois
encore prédominent les ouvrages où la copie de la
réalité se recommande et se différencie par les
seuls agréments de la facture. Il y a dans cette
convoitise exclusive des beautés de métier une
limite, quelque chose d’humiliant pour l’esprit et
comme une menace de déchéance. D’aucuns s’en
émeuvent ; ils assurent que 1’interprétation n’est
pas tout ; ils protestent au nom de la pensée en exil ;
ils assurent que les qualités techniques connaî-
traient un bien autre lustre si elles venaient seconder
un dessein préconçu. Ge retour à la composition,
on le doit accueillir comme un signe de favorable
augure. MM. Dusouchet, Gaboriaud, Marinot,
Schnerb font sentir tout un prix. Il s’atteste
encore dans les grandes toiles de M. Chabaud, de
M. B.. Verdilhan ; l’exécution n’en parait barbare
que parce qu’il a manqué aux auteurs le champ 1
1. M. Luce, Angrand, Mlle Cousturier. — 2. MM.
Vuillard, Bonnard, Roussel, Sérusier. — 3. MM.
Marquet, Flandrin, Ilouault, Barwolff. — 4. MM.
Van Dongen, Manzana-Pissarro, Volot, de Vla-
rninck, Lebasque, Laprade, Suë, Puy, Girieud,
d'Espagnat, Dufresnoy, André Chapuy, Séon,
P.-L. Moreau, Charles Lacoste, André Barbier.