jardins. Et la plus grande architecture est morte sans recours.
Ce que l'architecture et la sculpture essaient de dire à ce
moment-là, la peinture seule peut le dire. Et cela parce
qu'elle est, en plastique bien entendu, le seul langage qui
convienne à l'individu émancipé. Elle est l'individu éman-
cipé, ou, pour mieux dire, épanoui (i). On fait le tour de
l'édifice. On fait le tour de la statue. Si les grandes synthèses,
que tous peuvent sinon comprendre, du moins subir, les
grands contours continus des masses tendant à l'expression
géométrique cessent d'être le langage du statuaire et de
l'architecte, c'est qu'ils ne représentent plus les croyances
communes qui ne peuvent s'exprimer que sous cette forme-là,
résumée, globale, compacte et s'embrassant d'un regard. La
peinture est toute autre chose. Elle est libre. Son espace
n'est pas réel. Il appartient au seul esprit. L'esprit seul s'y
peut mouvoir, en tous sens, promener à sa guise les volumes
et les arabesques dans sa surface et dans sa profondeur,
plonger les formes dans l'ombre, les faire saillir dans le jour,
insinuer le jour et l'ombre dans leurs plus secrets intervalles,
masquer, proclamer, laisser deviner à sa guise les sentiments
les plus complexes et les plus simples, les sensations les plus
subtiles et les plus énergiques, déchaîner ensemble toutes
les ressources de son clavier chromatique, en tirer là un
accord, en toucher ici une note, créer la mer, créer le ciel,
les voiler de brume ou de nuages, ouvrir, fermer les bois, ne
parler que de l'homme ou s'en passer complètement. La
peinture est l'individu religieux ou non religieux, cruel ou
tendre, sensuel ou chaste, lyrique, ou conteur, ou drama-
tique tour à tour ou simultanément, libre de n'être que lui-
même, de recréer à son usage un univers assuré d'être viable,
quelque fantastique qu'il soit, s'il est cohérent et logique,
même et la plupart du temps surtout contre les préjugés et
les superstitions caduques de la foule sortie du temple comme
lui. La décomposition de l'organisme dont elle et lui sont
des éléments rendus à l'indépendance, fait qu'elle n'est plus
qu'une masse amorphe de ces éléments sans cohésion à qui
(i) Art Renaissant, p. 129.
— 36 —
Ce que l'architecture et la sculpture essaient de dire à ce
moment-là, la peinture seule peut le dire. Et cela parce
qu'elle est, en plastique bien entendu, le seul langage qui
convienne à l'individu émancipé. Elle est l'individu éman-
cipé, ou, pour mieux dire, épanoui (i). On fait le tour de
l'édifice. On fait le tour de la statue. Si les grandes synthèses,
que tous peuvent sinon comprendre, du moins subir, les
grands contours continus des masses tendant à l'expression
géométrique cessent d'être le langage du statuaire et de
l'architecte, c'est qu'ils ne représentent plus les croyances
communes qui ne peuvent s'exprimer que sous cette forme-là,
résumée, globale, compacte et s'embrassant d'un regard. La
peinture est toute autre chose. Elle est libre. Son espace
n'est pas réel. Il appartient au seul esprit. L'esprit seul s'y
peut mouvoir, en tous sens, promener à sa guise les volumes
et les arabesques dans sa surface et dans sa profondeur,
plonger les formes dans l'ombre, les faire saillir dans le jour,
insinuer le jour et l'ombre dans leurs plus secrets intervalles,
masquer, proclamer, laisser deviner à sa guise les sentiments
les plus complexes et les plus simples, les sensations les plus
subtiles et les plus énergiques, déchaîner ensemble toutes
les ressources de son clavier chromatique, en tirer là un
accord, en toucher ici une note, créer la mer, créer le ciel,
les voiler de brume ou de nuages, ouvrir, fermer les bois, ne
parler que de l'homme ou s'en passer complètement. La
peinture est l'individu religieux ou non religieux, cruel ou
tendre, sensuel ou chaste, lyrique, ou conteur, ou drama-
tique tour à tour ou simultanément, libre de n'être que lui-
même, de recréer à son usage un univers assuré d'être viable,
quelque fantastique qu'il soit, s'il est cohérent et logique,
même et la plupart du temps surtout contre les préjugés et
les superstitions caduques de la foule sortie du temple comme
lui. La décomposition de l'organisme dont elle et lui sont
des éléments rendus à l'indépendance, fait qu'elle n'est plus
qu'une masse amorphe de ces éléments sans cohésion à qui
(i) Art Renaissant, p. 129.
— 36 —