avoir étudié leur grain, leur densité, leur forme, à évoquer
les coutumes, les idées, les visages de ceux qui les ont édi-
fiées, dans la sympathie beaucoup plus large et plus profonde
de l'Histoire. Même plongée dans le drame et la guerre, elle
les entraîne après elle, comme un homme soulevant sa
charrue de ses poings ensanglantés. Un grand peuple laisse
une œuvre d'art après lui, et justement c'est son Histoire.
Une civilisation, pour peu qu'elle marque, et quelles que
soient les horreurs et les souffrances qui aient pu la boule-
verser, est dans son ensemble un poème que le temple ou la
statue ou la symphonie résument, ce qui les fait si émouvants,
si décisifs, si nécessaires pour nous. Cet équilibre tragique
qui conditionne ou plutôt constitue partout l'œuvre d'art
est au fond, si l'on rayonne autour d'elle et cherche à en
retrouver les échos dans tous les sens du vaste poème social
auquel elle a survécu, la loi même de ce poème qui, sans lui,
ne serait pas. Il s'établit d'un bout à l'autre de la vie spiri-
tuelle des peuples rois, si tourmentée, si dévastée, si pleine
de honte et de sang que soit cette vie spirituelle, pour
donner à son aventure une forme héroïque qui traverse
l'avenir.
Mme de Staël a dit ceci : « Les Allemands, qui ne peuvent
souffrir le joug des règles en littérature, voudraient que tout
leur fût tracé d'avance en fait de conduite. » Voilà, n'est-il
pas vrai, si l'illustre bas-bleu avait aussi parlé de la musique,
toute l'histoire des Allemands. Et voilà toute l'Histoire, si
l'on jette sur elle un regard un peu insistant. Toute l'Histoire
où l'art guerrier et les armées ont été imaginés pour styliser
et canaliser la violence, les révolutions pour donner du jeu à
la rigidité des cadres politiques, les lois pour contenir, par
un attentat perpétuel contre l'expansion instinctive de
l'homme, les désordres convulsifs de cette expansion (i),
les religions pour édifier sur le bourbier du cœur quelque
reliquaire étanche où l'on recueillera les fleurs qui s'en
élèvent jusqu'à rendre pour elles-mêmes irrespirable l'atmos-
(i) Le Droit écrit est apparu dans les pays du Sud, où les instincts sont
plus libres, les mœurs moins sévères, les impulsions moins comprimées,
la bonne foi plus rare.
— 13° —
les coutumes, les idées, les visages de ceux qui les ont édi-
fiées, dans la sympathie beaucoup plus large et plus profonde
de l'Histoire. Même plongée dans le drame et la guerre, elle
les entraîne après elle, comme un homme soulevant sa
charrue de ses poings ensanglantés. Un grand peuple laisse
une œuvre d'art après lui, et justement c'est son Histoire.
Une civilisation, pour peu qu'elle marque, et quelles que
soient les horreurs et les souffrances qui aient pu la boule-
verser, est dans son ensemble un poème que le temple ou la
statue ou la symphonie résument, ce qui les fait si émouvants,
si décisifs, si nécessaires pour nous. Cet équilibre tragique
qui conditionne ou plutôt constitue partout l'œuvre d'art
est au fond, si l'on rayonne autour d'elle et cherche à en
retrouver les échos dans tous les sens du vaste poème social
auquel elle a survécu, la loi même de ce poème qui, sans lui,
ne serait pas. Il s'établit d'un bout à l'autre de la vie spiri-
tuelle des peuples rois, si tourmentée, si dévastée, si pleine
de honte et de sang que soit cette vie spirituelle, pour
donner à son aventure une forme héroïque qui traverse
l'avenir.
Mme de Staël a dit ceci : « Les Allemands, qui ne peuvent
souffrir le joug des règles en littérature, voudraient que tout
leur fût tracé d'avance en fait de conduite. » Voilà, n'est-il
pas vrai, si l'illustre bas-bleu avait aussi parlé de la musique,
toute l'histoire des Allemands. Et voilà toute l'Histoire, si
l'on jette sur elle un regard un peu insistant. Toute l'Histoire
où l'art guerrier et les armées ont été imaginés pour styliser
et canaliser la violence, les révolutions pour donner du jeu à
la rigidité des cadres politiques, les lois pour contenir, par
un attentat perpétuel contre l'expansion instinctive de
l'homme, les désordres convulsifs de cette expansion (i),
les religions pour édifier sur le bourbier du cœur quelque
reliquaire étanche où l'on recueillera les fleurs qui s'en
élèvent jusqu'à rendre pour elles-mêmes irrespirable l'atmos-
(i) Le Droit écrit est apparu dans les pays du Sud, où les instincts sont
plus libres, les mœurs moins sévères, les impulsions moins comprimées,
la bonne foi plus rare.
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