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Faure, Élie
Histoire de l'art (5): L'esprit des formes — Paris: Éditions d'histoire et d'art, Librarie Plon, 1949

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https://doi.org/10.11588/diglit.71100#0351
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Nous savons que l'art de l'Espagne, qui dure cent cinquante
ans, a le caractère explosif de son expansion militaire et
coloniale et s'affirme en même temps qu'elle, brusquement.
Nous savons que « l'âge d'or » de la littérature anglaise est
aussi l'âge le plus atroce de l'histoire des Anglais, guerre au
dehors, guerre au dedans, croissance brutale de la Réforme,
et que le berceau de Shakespeare flotte sur un fleuve de sang.
Nous savons que tous les peintres de la Hollande, silencieuse
avant et depuis, naissent entre les dates extrêmes de l'ef-
froyable insurrection des Pays-Bas et dans les vingt ans qui
suivent la reprise de possession de leurs foyers par les vain-
queurs. Nous savons que la grande génération romantique,
sans une seule exception, Stendhal, Ingres, Rude, Géricault,
Corot, Barye, Balzac, Delacroix, Hugo, Berlioz, Dumas,
Michelet, Comte, Daumier en France, et ailleurs, dans les
pays qui subissent le même orage, Weber, Schopenhauer,
Schubert, Mendelsohn, Schumann, Richard Wagner, Cho-
pin, Byron, Shelley, Carlyle, naît ou grandit entre le début
et la fin de l'expansion militaire de la Révolution et de l'Em-
pire français. Ce sont des faits, dont je ne cite que les plus
impressionnants (i). Il semble que chacune de ces crises
poignantes, où l'existence d'un groupe d'hommes, de ses
besoins, de ses mœurs, de ses modes d'association est mise
en jeu soudain par le drame politique ou par le drame guer-
rier, soit suivie d'une explosion d'énergie spirituelle qui en
ramasse en elle les fureurs et les inquiétudes pour créer et
nourrir les grandes imaginations.
C'est naturel. Le danger, la terreur, l'angoisse, la souf-
france morale et matérielle sont partout. Aimé convulsive-
ment, témoin des ruptures violentes et des morts inattendues,
de la tragédie quotidienne où les larmes de la mère coulent,
où apparaît la lâcheté ou la vaillance du père, où le frère est
livré au bourreau, la sœur livrée au soldat, l'enfant pousse
hagard, replié sur lui-même, obligé de dissimuler ce qu'il sait
et ce qu'il sent, d'accepter l'enthousiasme ou la catastrophe
(i) Je renvoie ceux qui voudraient suivre de plus près ce phénomène à
mon livre La Danse sur le Feu et l'Eau (Grès, 1920) et plus spécialement
au chapitre La Tragédie mère des arts.

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