LES DEUX BRUEGHEL DE VELOURS.
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d'en recueillir les moindres circonstances. Le jeune Abraham Grapheus,
messager de la corporation de Saint-Luc, ayant été incarcéré en 1616-
1617 pour un motif que l'on ignore, les doyens de la guilde et quelques
amis firent une collecte destinée à élargir le prisonnier et à payer les
frais de justice. Brueghel y contribua pour six florins, somme qui ne lais-
sait pas d'avoir quelque importance au xvne siècle.
La chambre de Rhétorique, dite de la Giroflée1, comptait notre artiste
parmi ses membres. Cette société remporta le premier prix de peinture
dans un concours ouvert, en 1618, par la chambre du Rameau d'Olivier
{plyftak). C'était Brueghel qui avait exécuté le morceau jugé le meilleur :
il représentait un blason entouré d'une guirlande fleurie, que Van Balen
le vieux, François Francken le jeune et Sébastien Vrancx avaient orné de
petites figures.
Jean Brueghel menait une grande existence. Le journal manuscrit de
son fils atteste qu'il vivait dans un luxe aristocratique. Indépendamment
des tableaux qu'il avait exécutés lui-même ou avec ses collaborateurs
habituels, on en voyait beaucoup d'autres sur les murs de son hôtel, dus
à Titien, François Snyders, Jacques Fouquières, Jean Parcellis, Daniel
Zeghers, au peintre de marine Corneille Claessens et à divers artistes.
Son amour du faste se traduisait dans son costume par un emploi conti-
nuel du satin, de la moire et du velours ; mais comme le velours domi-
nait, ses contemporains lui appliquèrent le surnom qui lui est resté. Il
chargeait de passementeries ces splendides étoffes.
La mort lui arracha des mains sa palette et son pinceau le 13 jan-
vier 1625 ; il n'était âgé que de 57 ans. Il fut enseveli dans l'église
Saint-Georges, près de l'autel dédié à la sainte Croix. Les enfants qu'il
avait eus de ses deux mariages lui dressèrent en face de cet autel un
monument de marbre noir, où était enchâssé le portrait de l'artiste,
peint par Rubens, et que festonnaient des ornements dorés. L'effigie et
la pierre commémorative ont disparu; mais l'inscription funèbre, qui
nous a été conservée, nous apprend que Rodolphe II, empereur d'Alle-
magne, recherchait les-travaux de Brueghel, que le peintre était modeste
et joignait à un mérite peu commun d'excellentes manières.
Les enfants nés de son second mariage étant mineurs, on chargea de
leurs intérêts quatre tuteurs, que l'on croit avoir été désignés dans le
testament du père : Jacques de Jode, négociant et frère d'Isabelle, la
1. Yiolier, violiere, violisrbloem. Il est inconcevable que les rédacteurs du
catalogue d'Anvers traduisent toujours ce substantif par le mot violette. Ce sont les
termes viool, violen, qui signifient violette. Violicr a le même sens, en flamand et en
hollandais, que notre mot violier, c'est-à-dire giroflée.
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d'en recueillir les moindres circonstances. Le jeune Abraham Grapheus,
messager de la corporation de Saint-Luc, ayant été incarcéré en 1616-
1617 pour un motif que l'on ignore, les doyens de la guilde et quelques
amis firent une collecte destinée à élargir le prisonnier et à payer les
frais de justice. Brueghel y contribua pour six florins, somme qui ne lais-
sait pas d'avoir quelque importance au xvne siècle.
La chambre de Rhétorique, dite de la Giroflée1, comptait notre artiste
parmi ses membres. Cette société remporta le premier prix de peinture
dans un concours ouvert, en 1618, par la chambre du Rameau d'Olivier
{plyftak). C'était Brueghel qui avait exécuté le morceau jugé le meilleur :
il représentait un blason entouré d'une guirlande fleurie, que Van Balen
le vieux, François Francken le jeune et Sébastien Vrancx avaient orné de
petites figures.
Jean Brueghel menait une grande existence. Le journal manuscrit de
son fils atteste qu'il vivait dans un luxe aristocratique. Indépendamment
des tableaux qu'il avait exécutés lui-même ou avec ses collaborateurs
habituels, on en voyait beaucoup d'autres sur les murs de son hôtel, dus
à Titien, François Snyders, Jacques Fouquières, Jean Parcellis, Daniel
Zeghers, au peintre de marine Corneille Claessens et à divers artistes.
Son amour du faste se traduisait dans son costume par un emploi conti-
nuel du satin, de la moire et du velours ; mais comme le velours domi-
nait, ses contemporains lui appliquèrent le surnom qui lui est resté. Il
chargeait de passementeries ces splendides étoffes.
La mort lui arracha des mains sa palette et son pinceau le 13 jan-
vier 1625 ; il n'était âgé que de 57 ans. Il fut enseveli dans l'église
Saint-Georges, près de l'autel dédié à la sainte Croix. Les enfants qu'il
avait eus de ses deux mariages lui dressèrent en face de cet autel un
monument de marbre noir, où était enchâssé le portrait de l'artiste,
peint par Rubens, et que festonnaient des ornements dorés. L'effigie et
la pierre commémorative ont disparu; mais l'inscription funèbre, qui
nous a été conservée, nous apprend que Rodolphe II, empereur d'Alle-
magne, recherchait les-travaux de Brueghel, que le peintre était modeste
et joignait à un mérite peu commun d'excellentes manières.
Les enfants nés de son second mariage étant mineurs, on chargea de
leurs intérêts quatre tuteurs, que l'on croit avoir été désignés dans le
testament du père : Jacques de Jode, négociant et frère d'Isabelle, la
1. Yiolier, violiere, violisrbloem. Il est inconcevable que les rédacteurs du
catalogue d'Anvers traduisent toujours ce substantif par le mot violette. Ce sont les
termes viool, violen, qui signifient violette. Violicr a le même sens, en flamand et en
hollandais, que notre mot violier, c'est-à-dire giroflée.