558 GAZETTE DES BEAUX-ARTS,
jamais sous sa plume. Il ne faut pas juger l'antique, dit-il, par des
statues qui nous sont restées ; elles ne sont que des redites ou des copies
d'originaux détruits. Ces originaux admirables avaient une puissance de
vie que Ganova a transportée dans ses marbres ; quant à celui qu'on lui
oppose, il a pris la froideur des copies. ■— Tel est le jugement qu'il porte
et sur lequel il revient à plusieurs reprises. Nous ne saurions, pour notre
part, y souscrire sans restrictions.
Ganova et Thorvaldsen sont deux artistes considérables qui ont inter-
prété l'antique, chacun avec son tempérament : le Vénitien y a senti
surtout ce qui charme et séduit : mol abandon, souplesse du mouve-
ment, velouté de la peau, chaleur de la chair, attitude voluptueuse et
provocante ; aussi rend-il admirablement la partie matérielle et sensuelle
de l'art. Ses ennemis pouvaient l'appeler l'Albane de la statuaire, bien
qu'il soit assurément plus grand sculpteur que l'Albane n'a été grand
peintre. La statue delà princesse Etcheveny, le monument de Y Archidu-
chesse., le groupe monumental et dramatique d'Hercule et d'Hylas, dix
autres de ses ouvrages, attestent l'élévation et la force de son talent.
Son groupe des Trois Grâces nous paraît supérieur au groupe de Thor-
valdsen comme réunion de tous les secrets de beautés et de grâces que
peut offrir la nature physique de la femme. Ses danseuses portent en
elles la fièvre ardente d'amour et de plaisir des Napolitaines et des
Vénitiennes. Mais cette minauderie spirituelle, cette coquetterie du geste
et du regard, cette grâce voluptueuse dont nous sentons l'aiguillon, dont
nous reconnaissons la puissance d'expression, sont-ce des imitations de
l'antique ou bien les contre-sens de cette imitation; et plus on louera la
nature spéciale du talent, plus ne devra-t-on pas reconnaître qu'elle
s'éloigne d'un art chaste et religieux ? Or c'est là le véritable caractère
de l'antique, et c'est pourquoi il nous semble que le tempérament rai-
sonné, rêveur, trop mesuré peut-être de Thorvaldsen l'a bien mieux
servi pour en être le fidèle interprète. Les figures antiques qui font l'or-
nement de nos musées, et dont la nudité n'a jamais souillé d'une mau-
vaise pensée l'imagination d'une vierge, elles ornèrent, non les boudoirs
auxquels semblent destinées certaines œuvres de Canova, mais les
temples ou les places publiques. Ajoutons qu'elles ont créé la statuaire,
fixé les données, le but, la portée, les conditions de l'art lui-même.
C'est très-bien de faire descendre dans la Galathée de Pygmalion l'âme
et la vie; mais faut-il que la déesse, devenue femme, passe immédiate-
ment du piédestal dans l'alcôve, où Canova, où Praclier, l'exagérateur des
tendances matérialistes, l'ont conduite? Si Thorvaldsen a laissé sa Gala-
tée clans le marbre, du moins elle est restée cligne des respects de tous.
jamais sous sa plume. Il ne faut pas juger l'antique, dit-il, par des
statues qui nous sont restées ; elles ne sont que des redites ou des copies
d'originaux détruits. Ces originaux admirables avaient une puissance de
vie que Ganova a transportée dans ses marbres ; quant à celui qu'on lui
oppose, il a pris la froideur des copies. ■— Tel est le jugement qu'il porte
et sur lequel il revient à plusieurs reprises. Nous ne saurions, pour notre
part, y souscrire sans restrictions.
Ganova et Thorvaldsen sont deux artistes considérables qui ont inter-
prété l'antique, chacun avec son tempérament : le Vénitien y a senti
surtout ce qui charme et séduit : mol abandon, souplesse du mouve-
ment, velouté de la peau, chaleur de la chair, attitude voluptueuse et
provocante ; aussi rend-il admirablement la partie matérielle et sensuelle
de l'art. Ses ennemis pouvaient l'appeler l'Albane de la statuaire, bien
qu'il soit assurément plus grand sculpteur que l'Albane n'a été grand
peintre. La statue delà princesse Etcheveny, le monument de Y Archidu-
chesse., le groupe monumental et dramatique d'Hercule et d'Hylas, dix
autres de ses ouvrages, attestent l'élévation et la force de son talent.
Son groupe des Trois Grâces nous paraît supérieur au groupe de Thor-
valdsen comme réunion de tous les secrets de beautés et de grâces que
peut offrir la nature physique de la femme. Ses danseuses portent en
elles la fièvre ardente d'amour et de plaisir des Napolitaines et des
Vénitiennes. Mais cette minauderie spirituelle, cette coquetterie du geste
et du regard, cette grâce voluptueuse dont nous sentons l'aiguillon, dont
nous reconnaissons la puissance d'expression, sont-ce des imitations de
l'antique ou bien les contre-sens de cette imitation; et plus on louera la
nature spéciale du talent, plus ne devra-t-on pas reconnaître qu'elle
s'éloigne d'un art chaste et religieux ? Or c'est là le véritable caractère
de l'antique, et c'est pourquoi il nous semble que le tempérament rai-
sonné, rêveur, trop mesuré peut-être de Thorvaldsen l'a bien mieux
servi pour en être le fidèle interprète. Les figures antiques qui font l'or-
nement de nos musées, et dont la nudité n'a jamais souillé d'une mau-
vaise pensée l'imagination d'une vierge, elles ornèrent, non les boudoirs
auxquels semblent destinées certaines œuvres de Canova, mais les
temples ou les places publiques. Ajoutons qu'elles ont créé la statuaire,
fixé les données, le but, la portée, les conditions de l'art lui-même.
C'est très-bien de faire descendre dans la Galathée de Pygmalion l'âme
et la vie; mais faut-il que la déesse, devenue femme, passe immédiate-
ment du piédestal dans l'alcôve, où Canova, où Praclier, l'exagérateur des
tendances matérialistes, l'ont conduite? Si Thorvaldsen a laissé sa Gala-
tée clans le marbre, du moins elle est restée cligne des respects de tous.