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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
demandé quand son tableau serait fini. Il m'a dit qu'il ne savait. Je lui ai
dit que le Cavalier eût été aux Gobelins s'il l'eût été, mais que M. du Metz
m'avait dit qu'il fallait attendre à l'y mener que cet ouvrage fût fini. Étant
dans l'appartement de la Reine-Mère qu'a peint Romanelli1, M. Golbert m'a
démandé si le Cavalier l'avait vu et ce qu'il avait dit de ces peintures. Je lui
ai répondu qu'il n'en avait rien dit de particulier, ne disant rien de tout ce
qu'il voyait. « C'est en user bien prudemment, a-t-il répondu, mais l'on le
fait néanmoins beaucoup parler, même des ouvrages de M. Poussin. » J'ai
reparti qu'à la vérité il en parlait aux rencontres, mais toujours avec une
estime extraordinaire. Il a ajouté qu'on disait qu'il n'avait presque pas regardé
le tableau du Noviciat2. Je lui ait dit que si, et qu'à l'égard de celui de Saint-
Germain 3 il m'avait dit que ce n'était pas un des plus beaux ouvrages du
signor Poussin. Lui, M. Le Brun m'a dit que M. Colbert lui avait demandé ce
qu'il lui en semblait, et qu'il le lui avait beaucoup loué comme l'ouvrage le
méritait. Il m'a prié de l'avertir quand le Cavalier irait aux Gobelins. De là
M. Colbert est entré dans la salle et a trouvé, avant que d'y entrer, M. l'abbé
Butti qui lui a dit que le Cavalier dormait. 11 est néanmoins venu tout aus-
sitôt. Considérant le buste, le Cavalier lui a dit qu'il avait dessein de faire
que cette draperie parût comme si elle était de gros taffetas, qu'il ne savait
s'il y réussirait. Mais en tout cas, al diffclto deÏÏ intelligenza, a-t-il dit, supplira
la diligenza'1. Il a dit, après, qu'il avait fait marquer les alignements; qu'il
croyait qu'ils étaient bien pris pour remédier au défaut qui était aux portes,
que peut-être est-ce lui qui a failli; qu'il eût souhaité se rencontrer avec ceux
qui ont été pris auparavant, que ce lui eût été un plus grand repos d'esprit;
que pour s'assurer davantage il a fait les contre-épreuves. M. Colbert a vu
après l'ouvrage du signor Paul, lequel il a trouvé fort beau. Le Cavalier a
dit que c'était la pensée qui s'en pouvait dire telle.
M. Colbert lui a demandé l'âge de son fils. Il a dit qu'il avait dix-huit ans.
M. Colbert a poursuivi et lui a demandé s'il n'avait point peur qu'il ne se fît
plus habile homme que lui. J'ai pris la parole et ai allégué ce que le Cavalier
m'avail rapporté dès les premiers jours qu'il fut arrivé5, au sujet d'une pareille
demande faite par le cardinal Barbarin, avant qu'il fût Urbain VIII, au signor
Bernin son père : Sappia vostra Eccelenza che in quel gioco chi perde vince.
Puis le Cavalier a dit qu'à dix-huit ans il avait fait la Daphnè, qu'à huit ans
même il avait fait un chef de Saint-Jean qui fut présenté à Paul V par son
maître de chambre; que Sa Sainteté ne voulait pas croire qu'il l'eût fait, et
lui demanda s'il pourrait dessiner une tête en sa présence; qu'ayant répondu
qu'oui, Sa Sainteté lui avait fait apporter une plume et du papier et que,
prêt à commencer, il lui demanda quelle tête Sa Sainteté voulait qu'il des-
1. Giovanni-Francesco Romanelli, né en 1617 à Viterbe, où il mourut en 1663. Les pièces
décorées par lui au Louvre formèrent plus tard les salles dites des Saisons, de la Paix, des
Romains et du Centaure. Voy. la Description des antiques du musée du Louvre, par le comte
de Clarac.
2. Du Noviciat des Jésuites. Voy. plus haut à la date du 12 juin.
3. La Cène, qui était dans la chapelle du château de Saint-Germain.
4. « Au défaut de l'intelligence suppléera la diligence. »
5. Voyez plus haut à la date du 6 juin.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
demandé quand son tableau serait fini. Il m'a dit qu'il ne savait. Je lui ai
dit que le Cavalier eût été aux Gobelins s'il l'eût été, mais que M. du Metz
m'avait dit qu'il fallait attendre à l'y mener que cet ouvrage fût fini. Étant
dans l'appartement de la Reine-Mère qu'a peint Romanelli1, M. Golbert m'a
démandé si le Cavalier l'avait vu et ce qu'il avait dit de ces peintures. Je lui
ai répondu qu'il n'en avait rien dit de particulier, ne disant rien de tout ce
qu'il voyait. « C'est en user bien prudemment, a-t-il répondu, mais l'on le
fait néanmoins beaucoup parler, même des ouvrages de M. Poussin. » J'ai
reparti qu'à la vérité il en parlait aux rencontres, mais toujours avec une
estime extraordinaire. Il a ajouté qu'on disait qu'il n'avait presque pas regardé
le tableau du Noviciat2. Je lui ait dit que si, et qu'à l'égard de celui de Saint-
Germain 3 il m'avait dit que ce n'était pas un des plus beaux ouvrages du
signor Poussin. Lui, M. Le Brun m'a dit que M. Colbert lui avait demandé ce
qu'il lui en semblait, et qu'il le lui avait beaucoup loué comme l'ouvrage le
méritait. Il m'a prié de l'avertir quand le Cavalier irait aux Gobelins. De là
M. Colbert est entré dans la salle et a trouvé, avant que d'y entrer, M. l'abbé
Butti qui lui a dit que le Cavalier dormait. 11 est néanmoins venu tout aus-
sitôt. Considérant le buste, le Cavalier lui a dit qu'il avait dessein de faire
que cette draperie parût comme si elle était de gros taffetas, qu'il ne savait
s'il y réussirait. Mais en tout cas, al diffclto deÏÏ intelligenza, a-t-il dit, supplira
la diligenza'1. Il a dit, après, qu'il avait fait marquer les alignements; qu'il
croyait qu'ils étaient bien pris pour remédier au défaut qui était aux portes,
que peut-être est-ce lui qui a failli; qu'il eût souhaité se rencontrer avec ceux
qui ont été pris auparavant, que ce lui eût été un plus grand repos d'esprit;
que pour s'assurer davantage il a fait les contre-épreuves. M. Colbert a vu
après l'ouvrage du signor Paul, lequel il a trouvé fort beau. Le Cavalier a
dit que c'était la pensée qui s'en pouvait dire telle.
M. Colbert lui a demandé l'âge de son fils. Il a dit qu'il avait dix-huit ans.
M. Colbert a poursuivi et lui a demandé s'il n'avait point peur qu'il ne se fît
plus habile homme que lui. J'ai pris la parole et ai allégué ce que le Cavalier
m'avail rapporté dès les premiers jours qu'il fut arrivé5, au sujet d'une pareille
demande faite par le cardinal Barbarin, avant qu'il fût Urbain VIII, au signor
Bernin son père : Sappia vostra Eccelenza che in quel gioco chi perde vince.
Puis le Cavalier a dit qu'à dix-huit ans il avait fait la Daphnè, qu'à huit ans
même il avait fait un chef de Saint-Jean qui fut présenté à Paul V par son
maître de chambre; que Sa Sainteté ne voulait pas croire qu'il l'eût fait, et
lui demanda s'il pourrait dessiner une tête en sa présence; qu'ayant répondu
qu'oui, Sa Sainteté lui avait fait apporter une plume et du papier et que,
prêt à commencer, il lui demanda quelle tête Sa Sainteté voulait qu'il des-
1. Giovanni-Francesco Romanelli, né en 1617 à Viterbe, où il mourut en 1663. Les pièces
décorées par lui au Louvre formèrent plus tard les salles dites des Saisons, de la Paix, des
Romains et du Centaure. Voy. la Description des antiques du musée du Louvre, par le comte
de Clarac.
2. Du Noviciat des Jésuites. Voy. plus haut à la date du 12 juin.
3. La Cène, qui était dans la chapelle du château de Saint-Germain.
4. « Au défaut de l'intelligence suppléera la diligence. »
5. Voyez plus haut à la date du 6 juin.