JEAN GOUJON.
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acquis d’une façon indéniable. Goujon s’est expatrié en 1562; il s’est
fixé à Bologne, et c’est là qu’il doit être mort de 1564 à 1568 1, en
tenant pour sincère, bien entendu, la déclaration de Laurent Pénis
devant le tribunal de Modène. Le style suffisait déjà pour ne pas
accepter bien des œuvres qui lui ont été attribuées à tort, mais la
date formelle permet d’en exclure d’autres sans discussion. J’en
citerai deux qui sont dans ce cas.
Sauvai, et son témoignage était d’un poids d’autant plus grand
que les sculptures n’existent plus depuis longtemps, donne à Goujon
les ornements de deux boucheries couvertes du Marché-Neuf à côté de
Saint-Pierre-aux-Bœufs et à la tète du pont Saint-Michel. Commencées
par Henri II en 1558, elles ne furent finies et «parfaites» que dix ans
après, ainsi qu’il résultait d’une inscription. Comme les ornements sont
forcément l’ouvrage de la fin des travaux, ils étaient de 1567 ou 1568.
Ils pouvaient être dignes de Goujon, mais ils n’étaient pas de lui.
Les historiens de Paris lui ont aussi attribué la pyramide élevée
sur la place rasée de la maison d’un protestant. Il serait étonnant
qu’un coreligionnaire se fût chargé d’un monument de défi élevé à
l’encontre de sa foi ; mais, Philippe de Gastine ayant été pendu en 1571,
il ne peut être question de Jean Goujon, mort depuis plus de sept ans.
Pour résumer en quelques lignes ce qui n’est déjà qu’un résumé,
voici les faits authentiques de sa vie.
Il travaille pour Saint-Maclou et à la cathédrale de Rouen en 1541
et 1542 et c’est ce qui permet de lui supposer une origine normande.
Il fait les sculptures du jubé de Saint-Germain-l’Auxerrois en 1544,
celles d’Ecouen avant 1547, date de la publication du Yitruve, celles
de la fontaine des Innocents en 1548 et 1549, celles de Carnavalet
vers 1550, celles du château d’Anet à la même époque, qui est celle
de sa plus grande force, celles du Louvre de 1550 à 1562. Il quitte
alors la France et doit mourir à Bologne entre 1564 et 1568. Quoique
ce soit déjà beaucoup, ce n’est pas assez, et nous ignorons plus que
nous ne connaissons. Malheureusement la France s’est contentée,
du xii° au xvie siècle, d’avoir de grands architectes et de grands
sculpteurs, sans avoir eu pour eux la piété et la justice patriotiques
que l’Italie a eu raison de ne pas marchander aux siens. Les maîtres
de notre moyen âge et de notre Renaissance n’ont pas eu de Yasari.
ANATOLE DE M 0 N T AIG L O N .
1. Bien avant la Saint-Barthélemy et non pas après, comme une erreur typo-
;raphique nous l’a fait dire dans notre précédent article.
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acquis d’une façon indéniable. Goujon s’est expatrié en 1562; il s’est
fixé à Bologne, et c’est là qu’il doit être mort de 1564 à 1568 1, en
tenant pour sincère, bien entendu, la déclaration de Laurent Pénis
devant le tribunal de Modène. Le style suffisait déjà pour ne pas
accepter bien des œuvres qui lui ont été attribuées à tort, mais la
date formelle permet d’en exclure d’autres sans discussion. J’en
citerai deux qui sont dans ce cas.
Sauvai, et son témoignage était d’un poids d’autant plus grand
que les sculptures n’existent plus depuis longtemps, donne à Goujon
les ornements de deux boucheries couvertes du Marché-Neuf à côté de
Saint-Pierre-aux-Bœufs et à la tète du pont Saint-Michel. Commencées
par Henri II en 1558, elles ne furent finies et «parfaites» que dix ans
après, ainsi qu’il résultait d’une inscription. Comme les ornements sont
forcément l’ouvrage de la fin des travaux, ils étaient de 1567 ou 1568.
Ils pouvaient être dignes de Goujon, mais ils n’étaient pas de lui.
Les historiens de Paris lui ont aussi attribué la pyramide élevée
sur la place rasée de la maison d’un protestant. Il serait étonnant
qu’un coreligionnaire se fût chargé d’un monument de défi élevé à
l’encontre de sa foi ; mais, Philippe de Gastine ayant été pendu en 1571,
il ne peut être question de Jean Goujon, mort depuis plus de sept ans.
Pour résumer en quelques lignes ce qui n’est déjà qu’un résumé,
voici les faits authentiques de sa vie.
Il travaille pour Saint-Maclou et à la cathédrale de Rouen en 1541
et 1542 et c’est ce qui permet de lui supposer une origine normande.
Il fait les sculptures du jubé de Saint-Germain-l’Auxerrois en 1544,
celles d’Ecouen avant 1547, date de la publication du Yitruve, celles
de la fontaine des Innocents en 1548 et 1549, celles de Carnavalet
vers 1550, celles du château d’Anet à la même époque, qui est celle
de sa plus grande force, celles du Louvre de 1550 à 1562. Il quitte
alors la France et doit mourir à Bologne entre 1564 et 1568. Quoique
ce soit déjà beaucoup, ce n’est pas assez, et nous ignorons plus que
nous ne connaissons. Malheureusement la France s’est contentée,
du xii° au xvie siècle, d’avoir de grands architectes et de grands
sculpteurs, sans avoir eu pour eux la piété et la justice patriotiques
que l’Italie a eu raison de ne pas marchander aux siens. Les maîtres
de notre moyen âge et de notre Renaissance n’ont pas eu de Yasari.
ANATOLE DE M 0 N T AIG L O N .
1. Bien avant la Saint-Barthélemy et non pas après, comme une erreur typo-
;raphique nous l’a fait dire dans notre précédent article.