Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 2.Pér. 31.1885

DOI Heft:
Nr. 2
DOI Artikel:
Lostalot, Alfred de: Revue musicale
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.24592#0205

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
REVUE MUSICALE.

193

Glissements aux inspirations des autres. Berlioz, si décrié autrefois, est
aujourd’hui l’idole de la foule et surtout de la jeunesse qui, n’ayant ni
préjugés ni rancunes, ne cherche pas à mentir à ses impressions. C’est
plaisir de voir l’enthousiasme que soulève aux concerts de M. Lamoureux
comme à ceux du Châtelet, la Damnation de Faust, cette œuvre colossale de
notre grand artiste : les intentions du compositeur dans les parties les plus
ardues de son œuvre, intentions souvent raffinées jusqu’à la quintessence,
sont saisies au passage par la majorité des auditeurs et appréciées avec une
justesse de sentiment dont il est permis de s’étonner. On voit rarement
une œuvre d’art agir à ce degré sur une foule, et surtout avec cette
concordance d’émotion. Wagner, également bien accueilli du public vibrant
de ces concerts, n’a pas ce pouvoir de fasciner les âmes et de les tenir sous
sa dépendance, sans trêve ni repos. Si parfois on est ébloui, transporté par
ses accents magnifiques, il est des moments où l'on retombe lourdement
dans les ténèbres, vide de pensées, étourdi par des bruits incompréhensibles.
Le public a la sensation de trous énormes et, pour mon compte, je crois que
sa clairvoyance n’est nullement en défaut : ces trous existent. Laissons les
fanatiques du maître allemand s’y plonger avec délices et proclamer qu’on
y voit très clair ; nous leur demanderons seulement de vouloir bien se
mettre d’accord dans leurs descriptions de ces régions inaccessibles au
vulgaire; jusque-là nous les tiendrons pour suspects.

Où Wagner est admirable, à l’égal des plus grands maîtres de l’art et
peut-être plus enveloppant qu’aucun ne fut jamais, à cause de l’ivresse
physique qu’il procure, c’est dans les parties de son œuvre où lui-même,
dominé par l’inspiration, ne se sent pas le courage de la faire passer par
l’étamine du système dont il est l’apôtre. Nous venons d’entendre, au Con-
servatoire, la marche avec chœur, de Tannhaüser; c’est un ruisseau de pure
mélodie, limpide comme de l’eau de roche, coulant droit, sans arrêt, sans
barrage systématique qui ternisse son éclatante lumière. De pareils chefs-
d’œuvre éblouissent les natures les plus réfractaires à la musique; on est litté-
ralement subjugué par la magie des sons; il faut bien s’incliner devant le
génie du magicien.

Les concerts du cirque d’IIiver, dirigés par M. Benjamin Godard, nous
ont donné des fragments de la Prise de Troie, de Berlioz : l’air de Cassandre,
le duo de Cassandre et de Chorèbe, un superbe morceau de théâtre, du
pathétique le plus élevé, et enfin la célèbre Marche troyenne que le souvenir
écrasant de la Marche hongroise de la Damnation de Faust ne permet
pas d’apprécier à sa juste valeur. Succès des plus vifs, cependant; tout ce
qui vient de Berlioz est accepté aujourd’hui avec le même empressement
qu’on mettait autrefois à rejeter ses œuvres les plus belles. Cette faveur du
public inspirera peut être l’idée à quelque directeur de théâtre de monter
son opéra : Benvenuto Cellini qui, en ce moment même, soulève un véritable
enthousiasme à l’étranger : les Allemands et les Busses ne peuvent se lasser
de l’entendre. Va-t-il falloir attendre, pour reprendre notre bien, que l’Europe
nous impose l’œuvre de Berlioz comme elle nous a imposé celle de Bizet?
Et puisque le nom de l’auteur de Carmen vient sous ma plume, peut-
être n’est-il pas hors de propos d’apprendre à nos lecteurs la reprise
XXXI. — 2° PÉRIODE. 25
 
Annotationen