__IJ
JEAN BAPTISTE SANTEÜIL
CHANOINE REGULIER DE ST VICTOR
Es Poètes parlent souvent de leur enthousiasme, & d'une certaine
fureur qui les éleve au dessus d'eux-mêmes , ensorte qu'ils doutent
quelquefois si ce qu'ils produisent en cet état sort de leur propre
fonds , ou s'il ne leur est point donné d'ailleurs par voye d'inspi-
ration. Il n'y a point de Poëte qui ne prétende être saisi de cet heu-
reux enthousiasme quand il compose, & qui ne se croye échauffé de cette chaleur
féconde, quelque froids que soient ses ouvrages. Mais s'il y en eut jamais un agité
de cet emportement , c'est celuy dont je parle. On voyoit dans son regard la cha-
leur qui le travailloit au dedans: le feu de son imagination se répandoit sur toute
sa personne : ses pieds , ses mains , ses yeux , tout exprimoit ; & comme s'il n'eût pu
contenir les idées dont il étoit plein , tout parloit en luy , & faisoit croire qu'un
sécond & double esprit se joignoit aupremier, telle étoit l'abondance & laforce
de ses pensées.
La plupart des gens du monde peu instruits de ce qui se passfe dans les forts
& vigoureux genies •, qui n'ont d'ame que ce qu'il en faut pour s'acquiter foible-
ment des simples devoirs de la vie civile , prenoient quelquefois pour égare-
ment ce qui n'étoit qu'un transport ordinaire de sa vivacité, & de la noble har-
diesse de son temperament tout de feu & tout de lumiere.
Né d'une bonne & ancienne famille de Paris , il fit ses études aux Jesuites,oû
le Pere Cossart homme d'un merite trés-singulier, qu'il eut pour Maître dans
sa Rhétorique , augmenta beaucoup par ses preceptes & par son exemple l'incli-
nation avec laquelle il étoit né pour la poësie latine, & qu'il a cultivée tout le
temps de sa vie. Ses ouvrages ont estéaimez de toutes sortes de personnes ; ses vers
quoique très-sublimes sont tournez d'une maniere si naturelle , qu'il n'y a per-
sonne qui ne les entende, contre la coutume de la plupart des Poètes Latins mo-
dernes , qui se font un merite d'une profonde & malheureuse obscurité.
Comme il n'étoit pas moins poli dans les choses agréables, que soûtenu & élevé
dans les grands sujets ,il fit des inseriptions pour toutes les Fontaines de Paris ,
où il a mis tout l'agrément, tout le sel , & toute l'élegance qu'on y peut souhai-
ter. Ce sont la plupart des distiques si justes pour chaque endroit où ils sont po-
sez, & qui disent tant de choses en peu de paroles , qu'il n'est pas possible de ne
les pas lire toutes les fois qu'on les rencontre. Je ne puis m'empêcher de mettre
icy celle qui est gravée sur la porte du Château d'eau du pont Nôtre-Dame.
Sequana cüm primurn Reginæ allabitur Drbi,
Tardât précipites ambitions aquas.
Captas amore loci , curfom oblivifeitur anceps
Quofluat , & dalces neflit in Urbe nieras.
Hinc varies implehs ssuslu fabeunte canales ,
Fenssieri gaudet qui mode ssumen erat.
Il se mit enfin à composer des Hymnes pour l'Eglise, & c'est où il a excellé
admirablement. On sçait qu'à la reserve de quelques-unes qui ont été com-
poses par Prudence , par S. Augustin , par S, Ambroise , par S. Thomas , &
JEAN BAPTISTE SANTEÜIL
CHANOINE REGULIER DE ST VICTOR
Es Poètes parlent souvent de leur enthousiasme, & d'une certaine
fureur qui les éleve au dessus d'eux-mêmes , ensorte qu'ils doutent
quelquefois si ce qu'ils produisent en cet état sort de leur propre
fonds , ou s'il ne leur est point donné d'ailleurs par voye d'inspi-
ration. Il n'y a point de Poëte qui ne prétende être saisi de cet heu-
reux enthousiasme quand il compose, & qui ne se croye échauffé de cette chaleur
féconde, quelque froids que soient ses ouvrages. Mais s'il y en eut jamais un agité
de cet emportement , c'est celuy dont je parle. On voyoit dans son regard la cha-
leur qui le travailloit au dedans: le feu de son imagination se répandoit sur toute
sa personne : ses pieds , ses mains , ses yeux , tout exprimoit ; & comme s'il n'eût pu
contenir les idées dont il étoit plein , tout parloit en luy , & faisoit croire qu'un
sécond & double esprit se joignoit aupremier, telle étoit l'abondance & laforce
de ses pensées.
La plupart des gens du monde peu instruits de ce qui se passfe dans les forts
& vigoureux genies •, qui n'ont d'ame que ce qu'il en faut pour s'acquiter foible-
ment des simples devoirs de la vie civile , prenoient quelquefois pour égare-
ment ce qui n'étoit qu'un transport ordinaire de sa vivacité, & de la noble har-
diesse de son temperament tout de feu & tout de lumiere.
Né d'une bonne & ancienne famille de Paris , il fit ses études aux Jesuites,oû
le Pere Cossart homme d'un merite trés-singulier, qu'il eut pour Maître dans
sa Rhétorique , augmenta beaucoup par ses preceptes & par son exemple l'incli-
nation avec laquelle il étoit né pour la poësie latine, & qu'il a cultivée tout le
temps de sa vie. Ses ouvrages ont estéaimez de toutes sortes de personnes ; ses vers
quoique très-sublimes sont tournez d'une maniere si naturelle , qu'il n'y a per-
sonne qui ne les entende, contre la coutume de la plupart des Poètes Latins mo-
dernes , qui se font un merite d'une profonde & malheureuse obscurité.
Comme il n'étoit pas moins poli dans les choses agréables, que soûtenu & élevé
dans les grands sujets ,il fit des inseriptions pour toutes les Fontaines de Paris ,
où il a mis tout l'agrément, tout le sel , & toute l'élegance qu'on y peut souhai-
ter. Ce sont la plupart des distiques si justes pour chaque endroit où ils sont po-
sez, & qui disent tant de choses en peu de paroles , qu'il n'est pas possible de ne
les pas lire toutes les fois qu'on les rencontre. Je ne puis m'empêcher de mettre
icy celle qui est gravée sur la porte du Château d'eau du pont Nôtre-Dame.
Sequana cüm primurn Reginæ allabitur Drbi,
Tardât précipites ambitions aquas.
Captas amore loci , curfom oblivifeitur anceps
Quofluat , & dalces neflit in Urbe nieras.
Hinc varies implehs ssuslu fabeunte canales ,
Fenssieri gaudet qui mode ssumen erat.
Il se mit enfin à composer des Hymnes pour l'Eglise, & c'est où il a excellé
admirablement. On sçait qu'à la reserve de quelques-unes qui ont été com-
poses par Prudence , par S. Augustin , par S, Ambroise , par S. Thomas , &