FR. DE LA MOTHE LE VAYER,
DE L'ACADEMIE FRANÇOISE.
A Science des plus sçavans hommes se renferme ordinairement
dans la connoislance de ce qu'ont fait ou de ce qu'ont dit les Grecs
& les Romains ; Ils regardent le reste du monde comme peu digne
d'estre consideré, persuadez que la valeur , la sagesse , & toutes les
vertus imaginables ne se rencontrent en quelque sorte de perfec-
tion que parmi ces deux Peuples. Celuy dont je parle n'a pu souffrir de bornes si
cstroites à son érudition ; après s'estre rempli de tout ce qui s'est fait, & de tout
ce qui s'est dit dans l'ancien monde, il n'a connu aucune Nation sur la terre dont
il n'ait entrepris de sçavoir le genie, les mœurs, & les coustumes; en un mot, il
avouluconnoistre tout le monde entier. 11 a vu, & ensuite nous l'a fait voir, qu'il
n'y a point de pensée, de sentimens, & de coustume si essrange & si absurde
qu'elle puisse estre , qui ne soit tenue & establie dans quelque Pays d'une esten^
due considerable.
Cette découverte a beaucoup servi à le confirmer dans une espece de Pyty
rhonisme où il estoit fort porté de son naturel, & à se défaire de plusieurs
mauvais préjugez que l'on tient de la naissance, de l'éducation, & de la coû-
tume.
11 estoit fils d'un pere tres-habile dans la connoissance des belles Lettres ; car
après avoir appris les Langues sçavantes, il se donna à la Jurisprudence Civile
& Canonique, & aux Mathématiques, ll passbit pour excellent Orateur , & pour
bon Poëte ; de sorte qu'il n'est pas estonnant qu'il ait donne la naissance à un
fils d'un si grand merite.
François de la Mothe le Vayer ne fut pas plustost connu pour ce qu'il estoit,
qu'il fut choisi pour estre Precepteur de Philippes de France Frere unique du
Roy, Duc d'Anjou alors, & depuis Duc d'Orléans. Il fit aussi la mesme fon-
ction de Precepteur auprès du Roy pendant une année. Il s'acquit une si grande
réputation & à la Cour & à la Ville , que peu de gens luy estoient comparables
soit pour l'esprit, soit pour l'érudition. Il a esté un des premiers qui a esté re-
ceu à l'Academie Françoise depuis son establissement. Les Ouvrages qu'il a
composez, & qui sont d'un nombre prodigieux , sont dans les mains de tout
le monde , & ont esté recueillis en trois Volumes in folio, & en quinze petits
indouze. Il n'y a presque point de matiere de celles qui méritent l'attention &
l'examen d'un homme de Lettres, & particulierement de questions de Morale
dont il n'ait écrit, & sur lesquelles il n'ait rapporté presque tout ce qui a esté
dit par les Anciens & par les Modernes; on le regarde comme le Plutarque de
nostre siecle, soit pour son érudition qui n'a point de bornes, soit pour sa ma-
nière de raisonner, & de dire son sentiment, toujours modeste & retenue, &
toujours fort éloignée de l'air décisif des Dogmatiques.
Lors que Mr de Vaugelas eut donné ses Remarques sur la Langue François
se, il ne puts'empescher d'écrire contre ces Remarques, non seulement plusieurs
Lettres, mais un Volume entier, où il se plaint fortement de la contrainte & des