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https://doi.org/10.11588/diglit.73757#0083
. 3»
HONORE DUREE,
CHEVALIER DE MALTHE
UoY que les Romans soient d'une antiquité immémoriale, &
que les narrations d'Avantures fabuleuses ne soient gueres moins
anciennes que les Histoires véritables,Monsieur d'Urfé peut nean-
moins estre regardé comme original dans l'espece de Roman qu'il
nous a laissé. Presque tous les autres, excepté ceux qui ont esté
faits depuis , ou ne racontentles Avantures que d'un seul Héros, ou de plusieurs
Héros d'une mesme espece ; le sien est un Tableau de toutes les conditions de
la vie humaine. On y voit des Rois , des Princes , des Courtisans, & de simples
Bergers dont il dépeint d'une maniere si naïve les mœurs & les occupations in-
nocentes , que l'idée qu'il en donne a charmé non seulement toute la France,
mais toute l'Èurope pendant l'espace de plus de cinquante années. Quelque vé-
nération qu'on soit obligé d'avoir pour les admirables Poësies d'Homere , qui
ont fait les délices de tous les temps , je croy qu'on peut dire neanmoins qu'à les
considerer du costé de l'invention , des mœurs & des caraéteres , l'Astrée quoy
que Prose ne merite pas moins le nom de Poëme,&ne leur est guere moins in-
férieure. C'est le jugement qu'en ont fait de tres-sçavans hommes, quoy que
tres- prévenus pour les Anciens contre les Modernes.
Honoré d'Ürfé cadet de l'Illustre Maison d'Urfé dans la Province de Forest
eut deux freres , dont l'aisné épousa l'heritiere de la Maison de Chasteaumorant ,
mais dont le mariage fut dans la suite déclaré nul à cause de son impuissance.
Il se fit Prestre , & mourut Doyen du Chapitre de S. Jean de Montbrison,
Prieur de Mont-Verdun. Le sécond fut Grand Escuyer du Duc de Savoye, &
vescut plus de cent ans. Celuy dont je fais l'Eloge fut Chevalier de Malthe, &
s'acquitta des devoirs de sa Profession avec toute la bravoure & toute l'exacti-
tude qu'elle pouvoit demander. Cependant ce n est point tant par cet endroit ,
quoy que tres-beau & très-brillant, qu'il nous oblige à le mettre au nombre de
nos Illustres , ç'a esté principalement par la beauté & la fécondité de son ge-
nie , qui paroist avec tant d'éclat dans le Roman qu'il nous a laissé , que nous
avons esté forcé à luy rendre cette justice.
Ce Roman n'est pas un pur Roman , c'est un tissu énigmatique des princi-
pales Avantures de Ion Auteur. Avant qu'il partist pour faire son stage à Mal-
the,où il demeura plusieurs années de suite , il avoit pris de l'amour pour Ma^
demoiselle de Chasteaumorant unique heritiere de sa Maison, belle , riche &
fiere ; mais de cette fierté noble qu'inspire ordinairement la grande vertu. Pen-
dant son absence on la maria avec le frere aisné de celuy dont je parle. Ce ma-
riage se fit par consideration. Les Maisons d'Urfé &: de Chasteaumorant , les
deux plus grandes Maisons de tout le Forest , estoient ennemies entre elles ,
leurs interests avoient divisé toute la Noblesse du Pays; de sorte que les parens
de part & d'autre furent bien-aises de tarir par cette alliance la source des que-
relles & des malheurs qui pouvoient arriver à tous momens. D'Urfé à son retour
de Malthe trouva sa maistresse mariée avec son frere, ll ne laissa pas de l'aimer
HONORE DUREE,
CHEVALIER DE MALTHE
UoY que les Romans soient d'une antiquité immémoriale, &
que les narrations d'Avantures fabuleuses ne soient gueres moins
anciennes que les Histoires véritables,Monsieur d'Urfé peut nean-
moins estre regardé comme original dans l'espece de Roman qu'il
nous a laissé. Presque tous les autres, excepté ceux qui ont esté
faits depuis , ou ne racontentles Avantures que d'un seul Héros, ou de plusieurs
Héros d'une mesme espece ; le sien est un Tableau de toutes les conditions de
la vie humaine. On y voit des Rois , des Princes , des Courtisans, & de simples
Bergers dont il dépeint d'une maniere si naïve les mœurs & les occupations in-
nocentes , que l'idée qu'il en donne a charmé non seulement toute la France,
mais toute l'Èurope pendant l'espace de plus de cinquante années. Quelque vé-
nération qu'on soit obligé d'avoir pour les admirables Poësies d'Homere , qui
ont fait les délices de tous les temps , je croy qu'on peut dire neanmoins qu'à les
considerer du costé de l'invention , des mœurs & des caraéteres , l'Astrée quoy
que Prose ne merite pas moins le nom de Poëme,&ne leur est guere moins in-
férieure. C'est le jugement qu'en ont fait de tres-sçavans hommes, quoy que
tres- prévenus pour les Anciens contre les Modernes.
Honoré d'Ürfé cadet de l'Illustre Maison d'Urfé dans la Province de Forest
eut deux freres , dont l'aisné épousa l'heritiere de la Maison de Chasteaumorant ,
mais dont le mariage fut dans la suite déclaré nul à cause de son impuissance.
Il se fit Prestre , & mourut Doyen du Chapitre de S. Jean de Montbrison,
Prieur de Mont-Verdun. Le sécond fut Grand Escuyer du Duc de Savoye, &
vescut plus de cent ans. Celuy dont je fais l'Eloge fut Chevalier de Malthe, &
s'acquitta des devoirs de sa Profession avec toute la bravoure & toute l'exacti-
tude qu'elle pouvoit demander. Cependant ce n est point tant par cet endroit ,
quoy que tres-beau & très-brillant, qu'il nous oblige à le mettre au nombre de
nos Illustres , ç'a esté principalement par la beauté & la fécondité de son ge-
nie , qui paroist avec tant d'éclat dans le Roman qu'il nous a laissé , que nous
avons esté forcé à luy rendre cette justice.
Ce Roman n'est pas un pur Roman , c'est un tissu énigmatique des princi-
pales Avantures de Ion Auteur. Avant qu'il partist pour faire son stage à Mal-
the,où il demeura plusieurs années de suite , il avoit pris de l'amour pour Ma^
demoiselle de Chasteaumorant unique heritiere de sa Maison, belle , riche &
fiere ; mais de cette fierté noble qu'inspire ordinairement la grande vertu. Pen-
dant son absence on la maria avec le frere aisné de celuy dont je parle. Ce ma-
riage se fit par consideration. Les Maisons d'Urfé &: de Chasteaumorant , les
deux plus grandes Maisons de tout le Forest , estoient ennemies entre elles ,
leurs interests avoient divisé toute la Noblesse du Pays; de sorte que les parens
de part & d'autre furent bien-aises de tarir par cette alliance la source des que-
relles & des malheurs qui pouvoient arriver à tous momens. D'Urfé à son retour
de Malthe trouva sa maistresse mariée avec son frere, ll ne laissa pas de l'aimer