ISAAC DE BENSERADE,
DE LACADEMIE FRANÇOISE
ErsonNE n'a peut-estre jamais eu plus de vivacité d esprit que
celuy dont je vais parler; & cette vivacité, qui éclata dés les pre-
mières années de son enfance, a duré sans déchoir jusqu'à la fin
de sa vie.
Isaac de Benserade naquit à Lions Ville de Normandie, proche
Rouen. Son pere estoit Grand Maistre des Eaux & Forests, & l'on asseure
qu'un de ses Ancestres a esté Chambellan d'un de nos Rois, & Chastelain du
Chasteau de Milan. Du costé de sa mere il estoit allié à la Maison de Vignerod,
&dela Porte. Cette naissance , jointe à la beauté de son esprit, luy donnoic une
honneste hardiesse, qui le rendit familier avec les plus grands Seigneurs de la
Cour , dont il estoit aimé tendrement , & qui ne s'emprelToient pas moins à
l'avoir pour ami , que luy à leur faire sa cour.
Lors qu'il fallut luy faire recevoir le Sacrement de la Confirmation , on le
mena la veille saluer l'Evesque qui devoit confirmer. Cet Evesque le voyant fort
vif pour son âge ( car il n'avoit encore que six ou sept ans ) & sçachant qu'il s'ap-
pelloit Isaac , nom alors fort commun parmi les Huguenots , du nombre desquels
son pere avoir esté long-temps , il luy demanda s'il ne vouloir pas changer de
nom. Qu£ me donnerez-vous de retour , répondit le petit Benserade. On ne donne
point de retour pour changer de nom , luy répondit l'Evesque. je gardera, donc le
mien , répondit-il. Vous avez , raifon , mon fils , luy dit l'Evesque en soûriant , car
quelque nom que vous ayez , ^^ fierez bien le saire valoir.
Au sortir du College il composa trois ou quatre Pieces de Theatre qui réuni-
rent , entre autres Iphis & Jante , & Marc-Antoine. Le Cardinal de Richelieu
qui l'estimoit beaucoup luy fit du bien , & la Reine Mere luy donna une pension
de trois mille livres. Il s'attacha à l'Amiral de Brezé , qu'il suivit dans toutes ses
Expéditions ; & après sa mort il retourna à la Cour, ou il brilla plus que jamais^
tyoy qu'il vescût tres-familierement avec les plus grands Seigneurs du Royau-
me, comme je l'ay déja remarqué, il y vivoit neanmoins avec une très-grande
circonspestion. Vous vous étonnez, disoit-il quelquefois à ses amis , de Voir la ma-
nière dont je parle aux plus grands Seigneurs ; fiachez q^e je fuis toujours fur mes
gardes avec eux , CT que perfonne n'observe mieux que mo, les longues & les brèves
en leur parlant. Ce font des lions , ajoûtoit-il , qui par leurs carefles affiliées me ten-
dent des pieges a tous momerts. Ils feroient ravis que je m'échapafle d quelque chofè
de trop familier , pour avoir le plaifir de me donner un coup de patte ; mais , Dieu mer-
c, , je ne leur g point encore donné cette forte de divertifsement^
Il estoit bien fait de sa personne , & d'une taille fort aisée ; fort propre , & fora"
galant ; qualité qu'il a conservée jusque dans sa vieillesse , sans qu'elle luy ait ja-
mais donné du ridicule : ce qui demande dans un âge avancé bien de l'esprit &
du bon sens. Ses Poësies ont fait pendant plus de quarante ans les délices de la
Cour & de toute la France , particulierement pendant la jeunesse du Roy , par le§
Vers admirables qu'il faisoit pour les Balets que Sa Majesté dansoit ou faisoit dafr