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GARDE DE LA BIBLIOTHEQUE DU ROY.
Onsieur de Thou faisoit une si grande estime de celuy
dont je vais parler , qu'il le pria dans son testament de prendre
soin de l'éducation de ses Enfans , de les conduire dans l'étude
des belles Lettres , & de veiller sur eux & sur les Précepteurs qui
leur seroient donnez ; il le chargea aussi de l'édition de son Hi-
stoire & de ses autres ouvrages. Cette confiance suppose tant de bonnes quali-
tez en la personne de Monsieur Rigault , qu'elle pourroit seule luy servir d'é-
loge-
11 naquit à Paris l'an 157% & fit ses études aux Jesuites „ qui charmez de la de'L
catesse & de la beauté de son esprit, n obmirent rien de ce qu'ils crurent pouvoir
l'engager àse mettre dans leur Compagnie. Il composa un Ecrit en Latin sous le
titre de Satyra Menippæa , Somnium, L. Biberu Curculionis Parafa Mostualia apta ad
ritMm prifei funeris , où il paroissoit tant d'esprit & tant d'érudition , que les Sça-
vans de ce temps-là eurent peine à croire que ce fût l'ouvrage d'un homme de
dix-neuf ans. Monsieur de Thou en fut si charmé , qu'il luy envoya un de ses
carosses à Poitiers pour l'emmener chez luy, & le faire le compagnon de ses
études. Il fut choisi avec Mr Casaubon , pour mettre en ordre la Bibliotheque
du Roy, qui luy en donnala garde en même temps. S'il rendit un service con-
siderable au Public, en arrangeant un si grand nombre de Livres , il en reçut
de son côté un tres grand avantage par les lumieres qu'il y puisa en les exa-
minant ; lumières qui ont éclaté dans les differens ouvrages que nous avons de
luy. C'est à M' Pithou que nous devons le Phedre , qui jusqu'à luy étoit demeu-
ré dans la poussiere des Bibliothèques, mais Mr Rigault n'a pas peu travaillé à le
faire connoître au Public. On sçait quelle est la beauté , la naïveté & l'élé-
gance de cet Auteur si utile à la Jeunesse dans la plupart de ses Fables , soie
pour les mœurs , soit pour la belle & pure Latinité du temps d'Augute II
s'appliqua ensuite à rétablir Tertullien , à expliquer par ses Notes les dures
expressions de cet Auteur.
Il fit aussi des remarques sur S. Cyprien, sur Minutius Felix , sur Artemi-
dore, sur Julien & sur les Ecrivains de re Â^raria ; ces remarques sont pleines
d'une très-profonde érudition, & furent estimées de tout ce qu'il y avoit de sça-
vans hommes. Il avoit quelquefois des sentimens particuliers. C'est luy qui a re-
nouvelle & soutenu un paradoxe fort extraordinaire touchant la figure de la
personne & du visage de Jesus-Christ. Car bien loin d'estre de l'opinion com-
mune , qui veut que Nôtre-Seigneur ait été très-beau & très-bien fait , suivanc
ce passage que l'on allegue : sieciofa forma præ filiis hominum : Il soûtient qu'il
étoit dépourvu de tous les avantages delà Nature , & que n'ayant voulu ni des
honneurs ni des richesses , il avoit renoncé de même à la beauté & à la bon-
ne mine; ce qu'il appuye par une infinité de passages de l'Ecriture sainte & des
Peres, qui donnent quelque vray-semblance à son sentiment : persuadé que le
visage duSeigneur devoit porter toutes les marques de la foiblessfe & de l'infixé
GARDE DE LA BIBLIOTHEQUE DU ROY.
Onsieur de Thou faisoit une si grande estime de celuy
dont je vais parler , qu'il le pria dans son testament de prendre
soin de l'éducation de ses Enfans , de les conduire dans l'étude
des belles Lettres , & de veiller sur eux & sur les Précepteurs qui
leur seroient donnez ; il le chargea aussi de l'édition de son Hi-
stoire & de ses autres ouvrages. Cette confiance suppose tant de bonnes quali-
tez en la personne de Monsieur Rigault , qu'elle pourroit seule luy servir d'é-
loge-
11 naquit à Paris l'an 157% & fit ses études aux Jesuites „ qui charmez de la de'L
catesse & de la beauté de son esprit, n obmirent rien de ce qu'ils crurent pouvoir
l'engager àse mettre dans leur Compagnie. Il composa un Ecrit en Latin sous le
titre de Satyra Menippæa , Somnium, L. Biberu Curculionis Parafa Mostualia apta ad
ritMm prifei funeris , où il paroissoit tant d'esprit & tant d'érudition , que les Sça-
vans de ce temps-là eurent peine à croire que ce fût l'ouvrage d'un homme de
dix-neuf ans. Monsieur de Thou en fut si charmé , qu'il luy envoya un de ses
carosses à Poitiers pour l'emmener chez luy, & le faire le compagnon de ses
études. Il fut choisi avec Mr Casaubon , pour mettre en ordre la Bibliotheque
du Roy, qui luy en donnala garde en même temps. S'il rendit un service con-
siderable au Public, en arrangeant un si grand nombre de Livres , il en reçut
de son côté un tres grand avantage par les lumieres qu'il y puisa en les exa-
minant ; lumières qui ont éclaté dans les differens ouvrages que nous avons de
luy. C'est à M' Pithou que nous devons le Phedre , qui jusqu'à luy étoit demeu-
ré dans la poussiere des Bibliothèques, mais Mr Rigault n'a pas peu travaillé à le
faire connoître au Public. On sçait quelle est la beauté , la naïveté & l'élé-
gance de cet Auteur si utile à la Jeunesse dans la plupart de ses Fables , soie
pour les mœurs , soit pour la belle & pure Latinité du temps d'Augute II
s'appliqua ensuite à rétablir Tertullien , à expliquer par ses Notes les dures
expressions de cet Auteur.
Il fit aussi des remarques sur S. Cyprien, sur Minutius Felix , sur Artemi-
dore, sur Julien & sur les Ecrivains de re Â^raria ; ces remarques sont pleines
d'une très-profonde érudition, & furent estimées de tout ce qu'il y avoit de sça-
vans hommes. Il avoit quelquefois des sentimens particuliers. C'est luy qui a re-
nouvelle & soutenu un paradoxe fort extraordinaire touchant la figure de la
personne & du visage de Jesus-Christ. Car bien loin d'estre de l'opinion com-
mune , qui veut que Nôtre-Seigneur ait été très-beau & très-bien fait , suivanc
ce passage que l'on allegue : sieciofa forma præ filiis hominum : Il soûtient qu'il
étoit dépourvu de tous les avantages delà Nature , & que n'ayant voulu ni des
honneurs ni des richesses , il avoit renoncé de même à la beauté & à la bon-
ne mine; ce qu'il appuye par une infinité de passages de l'Ecriture sainte & des
Peres, qui donnent quelque vray-semblance à son sentiment : persuadé que le
visage duSeigneur devoit porter toutes les marques de la foiblessfe & de l'infixé