76 x L'ART.
une décadence. Parmi les personnes qui m'ont fait l'honneur de m'écrire, il en est une surtout
qui m'inspire le plus profond respect, et néanmoins elle ne me convertit pas à son indulgence,
d'autant plus facile chez elle qu'elle a plus de talent. Moi qui n"ai que beaucoup de bonne
volonté au service de vieilles passions artistiques absolument désintéressées, je suis tenu à plus
de rigueur. Je serais d'ailleurs d'autant plus coupable de chercher à gazer la vérité, qu'à peine
l'avais-je écrite, l'éloquence des chiffres se chargeait de venir irréfutablement l'appuyer.
Le 6 juin, en effet, on vendait à l'Hôtel Drouot une collection d'aquarelles signées des noms
les plus en vogue; cette vente, que M. Albert Wolff a si justement qualifiée de Krach des aqua-
rellistes, comprenait plus d'un de ces morceaux que l'on se disputait soi-disant « à trente mille »
et au delà ; elle avait eu les honneurs d'un catalogue illustré ; il ne lui avait manqué aucune
réclame bien sentie; les gogos seuls lui ont fait défaut, et le fameux Andante de M. Georges-
Jehan Vibert est allé échouer dans des prix infiniment plus doux, — si même il a rencontré
acheteur, — tout comme le célébrissime Toréador vainqueur du même grand maître qui préside
aux destinées de la Société d'Aquarellistes français.
C'a été sur toute la ligne une débâcle générale dont se sont seuls tirés à leur honneur, c'est-
à-dire à des prix raisonnables, légitimes, consacrés désormais, les aquarellistes au faire vraiment
« artiste », Jules Jacquemart, Henri Harpignies, par exemple.
IV
Je n'ai aucun sentiment d'hostilité contre la Société dAquarellistes français et m'estimerais un
sot si j'en ressentais. J'ai trop poussé les artistes, à quelque catégorie qu'ils appartiennent, à
faire eux-mêmes leurs affaires, pour ne pas désirer vivement la prospérité de l'association qui la
première s'est proclamée indépendante. Si je lui parle net et franc, c'est que je vois cette indé-
pendance menacée par la fausse direction adoptée qui, inconsciemment, je n'en doute pas,
substitue l'amour du lucre à l'amour de l'art. Or, il n'y a de durable que ce qui est basé sur le
dernier.
Le public élégant ou vulgaire peut s'affoler, jeter à pleines mains renommée et fortune à tel
talent très incomplet mais fort tapageur, à tel pinceau fade mais « distingué », à tel ou tel banal
favori de la mode, épiçàt-il sa peinture blaireautée du sel le plus gros, le plus commun, l'heure
boiteuse de la justice finit cependant toujours par arriver. C'est ce dont il est grand temps que
la Société d'Aquarellistes français se rende bien compte, si elle ne veut pas voir avant peu ses
fidèles se désaffectionner entièrement et l'abandon succéder aux entraînements d'une vogaie
injustifiée. Il faut qu'au plus vite elle s'infuse du sang nouveau et du sang d'homme de sérieux
talent.
A ceux qui chez elle se sont égarés dans une fausse voie et qui ont assez de valeur person-
nelle pour reconnaître leur erreur, dire adieu aux produits de placement assuré, de facile défaite,
faire amende honorable et rentrer dans la laborieuse voie de l'art, — s'ils tiennent à se survivre,
— il est deux exemples qu'on ne saurait trop signaler.
L'un date d'hier. Qu'ils se rappellent Eugène Delacroix conspué par M. Ingres, toute sa vie
aveuglément discuté, aujourd'hui à jamais immortel. Qu'ils aillent au Louvre, la seule Barque de
Don Juan, dont la vraie place est au Salon carré, suffit à sacrer son génie.
L'autre, ils le coudoient chaque jour ! L'an dernier, je dédiais mon Salon au peintre le plus
éminent que compte aujourd'hui l'école française, au maître portraitiste qui l'eût grandement
honorée en tout temps, à Elie Delaunay que je m'indignais de voir tout aussi ignoré de la
plupart de ceux qui croient former une élite, que de la foule objet de leurs dédains. La lente
justice ne commence-t-elle pas à arriver aussi pour ce modeste qui se contente de vivre cloîtré
dans son rare mérite et de produire chaque année quelque œuvre supérieure aux précédentes,
grandissant toujours dans son isolement auquel la renommée finira par l'arracher malgré lui ?
Notre très indépendant et très sagace collaborateur, M. Dargenty, ne proclamait-il pas que la
une décadence. Parmi les personnes qui m'ont fait l'honneur de m'écrire, il en est une surtout
qui m'inspire le plus profond respect, et néanmoins elle ne me convertit pas à son indulgence,
d'autant plus facile chez elle qu'elle a plus de talent. Moi qui n"ai que beaucoup de bonne
volonté au service de vieilles passions artistiques absolument désintéressées, je suis tenu à plus
de rigueur. Je serais d'ailleurs d'autant plus coupable de chercher à gazer la vérité, qu'à peine
l'avais-je écrite, l'éloquence des chiffres se chargeait de venir irréfutablement l'appuyer.
Le 6 juin, en effet, on vendait à l'Hôtel Drouot une collection d'aquarelles signées des noms
les plus en vogue; cette vente, que M. Albert Wolff a si justement qualifiée de Krach des aqua-
rellistes, comprenait plus d'un de ces morceaux que l'on se disputait soi-disant « à trente mille »
et au delà ; elle avait eu les honneurs d'un catalogue illustré ; il ne lui avait manqué aucune
réclame bien sentie; les gogos seuls lui ont fait défaut, et le fameux Andante de M. Georges-
Jehan Vibert est allé échouer dans des prix infiniment plus doux, — si même il a rencontré
acheteur, — tout comme le célébrissime Toréador vainqueur du même grand maître qui préside
aux destinées de la Société d'Aquarellistes français.
C'a été sur toute la ligne une débâcle générale dont se sont seuls tirés à leur honneur, c'est-
à-dire à des prix raisonnables, légitimes, consacrés désormais, les aquarellistes au faire vraiment
« artiste », Jules Jacquemart, Henri Harpignies, par exemple.
IV
Je n'ai aucun sentiment d'hostilité contre la Société dAquarellistes français et m'estimerais un
sot si j'en ressentais. J'ai trop poussé les artistes, à quelque catégorie qu'ils appartiennent, à
faire eux-mêmes leurs affaires, pour ne pas désirer vivement la prospérité de l'association qui la
première s'est proclamée indépendante. Si je lui parle net et franc, c'est que je vois cette indé-
pendance menacée par la fausse direction adoptée qui, inconsciemment, je n'en doute pas,
substitue l'amour du lucre à l'amour de l'art. Or, il n'y a de durable que ce qui est basé sur le
dernier.
Le public élégant ou vulgaire peut s'affoler, jeter à pleines mains renommée et fortune à tel
talent très incomplet mais fort tapageur, à tel pinceau fade mais « distingué », à tel ou tel banal
favori de la mode, épiçàt-il sa peinture blaireautée du sel le plus gros, le plus commun, l'heure
boiteuse de la justice finit cependant toujours par arriver. C'est ce dont il est grand temps que
la Société d'Aquarellistes français se rende bien compte, si elle ne veut pas voir avant peu ses
fidèles se désaffectionner entièrement et l'abandon succéder aux entraînements d'une vogaie
injustifiée. Il faut qu'au plus vite elle s'infuse du sang nouveau et du sang d'homme de sérieux
talent.
A ceux qui chez elle se sont égarés dans une fausse voie et qui ont assez de valeur person-
nelle pour reconnaître leur erreur, dire adieu aux produits de placement assuré, de facile défaite,
faire amende honorable et rentrer dans la laborieuse voie de l'art, — s'ils tiennent à se survivre,
— il est deux exemples qu'on ne saurait trop signaler.
L'un date d'hier. Qu'ils se rappellent Eugène Delacroix conspué par M. Ingres, toute sa vie
aveuglément discuté, aujourd'hui à jamais immortel. Qu'ils aillent au Louvre, la seule Barque de
Don Juan, dont la vraie place est au Salon carré, suffit à sacrer son génie.
L'autre, ils le coudoient chaque jour ! L'an dernier, je dédiais mon Salon au peintre le plus
éminent que compte aujourd'hui l'école française, au maître portraitiste qui l'eût grandement
honorée en tout temps, à Elie Delaunay que je m'indignais de voir tout aussi ignoré de la
plupart de ceux qui croient former une élite, que de la foule objet de leurs dédains. La lente
justice ne commence-t-elle pas à arriver aussi pour ce modeste qui se contente de vivre cloîtré
dans son rare mérite et de produire chaque année quelque œuvre supérieure aux précédentes,
grandissant toujours dans son isolement auquel la renommée finira par l'arracher malgré lui ?
Notre très indépendant et très sagace collaborateur, M. Dargenty, ne proclamait-il pas que la