Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

L' art: revue hebdomadaire illustrée — 9.1883 (Teil 4)

DOI Artikel:
Jules Dupré
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.19462#0079

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
JULES

d'artisans et plus ou moins enfants de Paris. Les bons élèves
de Bidault se racontaient, avec un mélange d'horreur et de
dédain, que ce Théodore Rousseau avait piteusement échoué
au concours de paysage historique, qu'incapable de traiter le
sujet choisi par l'Institut : le Corps de Zénobie recueilli par
des pêcheurs dans les flots de l'Araxe, il donnait bien sa
mesure à présent en peignant, en dehors de toutes les règles,
des sites d'Auvergne où des torrents anonymes roulent, entre
des rives sans fabriques, leurs eaux indisciplinées, indignes
d'être jamais des flots; — et même, ô scandale! la Tour du
télégraphe à Montmartre... Le sourcil des académiciens
prit

L'effroyable aspect d'un accent circonllexe,

et dans les ateliers de l'École on prédit que ces impertinents
novateurs ne sauraient manquer de finir mal.

« Quant à Jules Dupré, on ne savait rien de lui ; il ne
s'était même pas présenté au concours du paysage historique,
et son premier maître ne l'avait sans doute pas poussé bien
loin. Pendant quelque temps, il avait travaillé pour un
horloger ; il peignait sur des caisses vernies des paysages
alpestres avec l'inévitable clocher où l'on encadrait ingénieu-
sement une horloge authentique.....

n Pourtant le jeune artiste se doutait vaguement que ce
n'était pas là le dernier mot de l'art. « Cette nature qu'il avait
« sous les yeux lui murmurait d'ardents secrets ; il l'aimait
« d'amour avant d'avoir appris à l'interroger et à la traduire.
« Un jour enfin, il vint à Paris, entra au Louvre et prit, devant
« Ruysdael et Hobbema, une décisive leçon. » — Ce sont là ses
vrais maîtres ; c'est par eux que nos paysagistes ont appris que
le sol natal n'est pas indigne de la contemplation et de l'étude
d'un artiste. Aux défenseurs du paysage historique et de la
nature arrangée en vertu de conventions d'école, ils purent
opposer la Chaumière du grand arbre, de Rembrandt; le
Buisson battu par la tempête, de Ruysdael ; le Moulin à eau,
d'Hobbema. Forts de ces autorités, ils eurent le courage de
s'abandonner au sentiment nouveau qui remplissait leur cœur,
d'écouter les appels timides de la petite source qui mêle au
silence du bois une plainte éternelle, les conseils hautains du
vieux chêne qui semble souffrir et résister, les voix confuses,
mais si persuasives, de cette nature familière et dédaignée.
Elle devint la confidente de leur pensée et de leurs rêves ; ils
mêlèrent leur âme à la sienne ; ils découvrirent à leur tour la
fraternité profonde qui nous unit à elle ; et de cette commu-
nion où les prosateurs et les poètes avaient déjà puisé des
inspirations et des formes nouvelles, sortit à son tour un art
nouveau, un paysage de formule presque hollandaise, mais de

DUPRÉ. 5ç)

sentiment bien français et moderne, — qui restera la gloire
la plus durable de notre école au xix° siècle.....

« ..... Les paysages de Jules Dupré sont comme les chants

d'un grave poème, les confidences d'une âme fière et haute
qui trouve dans l'intimité de la nature un lent apaisement.
Quels que soient l'heure ou le lieu, le jour ou la saison, on y
sent la présence d'un témoin sérieux, d'un esprit pensif, dont
la gravité est l'attitude habituelle, les enthousiasmes austères et
les sourires mêmes mélancoliques. « Les arbres ne font pas de
■ « calembours », répondait Jean-François Millet aux critiques
qui lui reprochaient de manquer de souplesse et de gaieté ;
M. Jules Dupré, qui parle de l'art avec éloquence, et que
Théophile Gautier aimait, dit-on, à provoquer pour l'obliger à
« vider son sac », professe que « toute œuvre d'art doit partir
« des sens pour arriver à l'idée, comme un arbre qui a sa cime
« en plein ciel et sa racine en pleine terre ».

« 11 a peint les plaines du Limousin, les gaves de la
Creuse, les pacages plantureux du Berry, les bois de l'Isle-
Adam et les couchers de soleil sur l'Oise; partout il nous a
montré ce qu'il a éprouvé au moins autant que ce qu'il a vu,
ses émotions en même temps que ses sensations. Les paysages
se sont colorés des nuances de sa pensée; et on a pu dire avec
une grande justesse qu'il traitait un peu les arbres comme
Michel-Ange le corps humain. C'est que les choses n'existent
en effet pour nous que sous la forme que notre sensibilité leur
impose et dans la mesure où nous les comprenons, qu'en les
racontant nous nous racontons nous-mêmes, et qu'au fond de
toute œuvre d'art on trouve une confession.

« M. Jules Dupré a poussé jusqu'à l'exaltation l'amour de
la nature. C'est dans son émotion maîtresse, si l'on peut dire,
que réside l'unité de chacun de ses paysages. Il y fait con-
courir, fût-ce au prix de grands sacrifices, chacune des parties,
et ne laisse jamais l'exactitude du détail empiéter sur l'effet
voulu de l'ensemble.....

« Cette façon très vibrante, très personnelle, éminemment
persuasive, de raconter la nature, a ses exigences : il insiste
avec une ténacité acharnée sur l'effet décisif et les empâte-
ments lui sont habituels, sinon indispensables ; de là une
certaine lourdeur par endroits, même des brutalités et aussi
des négligences : le dessin des animaux, par exemple, complè-
tement sacrifié à l'intérêt du rayon de lumière qui s'accroche à
leurs croupes robustes. Les arbres sont quelquefois violentés
et tordus plus que de raison.

« Mais quelle tenue superbe, quelle grande et profonde et
inoubliable impression ! quelle conviction, quelle ampleur,
quelle puissance! et, à travers les défauts que nous avons dû
signaler, dans cette tonalité généralement abaissée de la
gamme, quelles finesses d'ceil et de main ! »
 
Annotationen