Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

L' art: revue hebdomadaire illustrée — 9.1883 (Teil 4)

DOI Artikel:
Marx, Roger: Silhouettes d'artistes contemporains: Friant
DOI Seite / Zitierlink: 
https://doi.org/10.11588/diglit.19462#0098

DWork-Logo
Überblick
loading ...
Faksimile
0.5
1 cm
facsimile
Vollansicht
OCR-Volltext
78 L'ART.

l'horizon une ligne rose et c'est sur ce fond, presque idéal, qu'apparaît la scène la plus
amusante, la plus spirituelle et la plus habilement traitée qu'on puisse imaginer.

Nous sommes clans les montagnes de la Sierra Morena : en haut de grands rochers arides et
gris ; en bas un champ couvert d'épis et de fleurs ; c'est là que peut-être Rossinante et son ami
méditent tranquillement sur les insanités de leur maître, tandis que le chevalier de la Triste-
Figure, n'ayant pour tout vêtement que sa cuirasse, gambade, saute et montre des jambes nues
dont la chétive maigreur se détache, se profile à merveille sur le ciel. Sancho étonné s'approche
de son maître, le prie de cesser ses cabrioles, l'assure que c'en est assez et « qu'il n'en veut pas
voir davantage ». Remarquez le contraste plein d'ironie : clans la prairie les bêtes sont calmes,
posées et réfléchissent comme de vrais philosophes ; en haut le maître s'évertue à faire parade
de sa folie. Ah ! combien Rossinante et l'âne sont plus sages ! Cette fois-ci l'intelligence et le
sens commun sont du côté des bêtes, et Descartes serait vraiment bien embarrassé. Où trouverait-il
l'animal, où verrait-il l'être pourvu de raison ?

Et dire que les jambes nues du chevalier ont fait crier au scandale ! On a voulu obliger
Friant à remettre un caleçon à Don Quichotte. Ceux qui adressaient à l'artiste une pareille
demande le connaissaient mal. Friant s'est refusé à faire à son œuvre le moindre changement.
« Qu'on me la laisse, a-t-il dit, pour moi je ne vois rien à ajouter. J'ai réalisé, autant qu'il était
en mon pouvoir, la scène telle que je la concevais ; je ne peux faire ni mieux, ni autrement. »
On s'est ravisé et on a eu raison ; outre que ce sont là d'étranges pudeurs, il nous a toujours
paru qu'il faut laisser aux artistes une pleine initiative et la liberté absolue de traiter leur sujet
comme ils l'entendent. Cette anecdote montre quelle belle nature, sincère et honnête, est celle
de Friant. Nous ne saurions trop louer un artiste encore si jeune cravoir une si forte conviction.

La transition est brusque entre Cervantès et les concours pour le prix de Rome. Pour ne
pas'passer directement du caleçon de Don Quichotte aux fureurs d'Œdipe, nous reviendrons
un peu sur le portrait que Friant avait au Salon de cette année et qu'il avait intitulé : Un peu
de repos. C'est ce portrait qui représentera — avec l'Atelier — l'artiste lorrain à l'Exposition
triennale.

Au milieu de l'ensemble des toiles froides, mornes et sombres qui peuplaient la salle 3i,
le tableau de Friant — traité dans une gamme claire — apparaissait comme un éclair de
jeunesse et de gaieté.

Assis devant son chevalet, un peintre vient de poser sa palette et tient une cigarette;
tandis que l'allumette s'enflamme, il jette un regard songeur sur le tableau qu'il a quitté : « Il
marche assez bien, pense-t-il, et je ne suis pas mécontent de cette séance ; voici un coin qui
avance, mais cet autre aura besoin d'être repris ; c'est égal, encore quelques bonnes heures... »
Et durant ce temps, la petite allumette flambe, flambe et bientôt va lui brûler les doigts. Quelle
observation fine et spirituelle ! Quelle critique judicieuse de l'admiration involontaire que tout
chacun a pour ce qu'il fait ! Peintre, sculpteur, auteur, auquel n'est-il pas arrivé de se brûler
les doigts en revoyant ou en relisant l'œuvre dans laquelle on a mis toutes ses facultés, tout son
cœur, toute son âme !

11 paraît étrange, au premier abord, de retrouver dans une loge de l'École des Beaux-Arts
ce peintre de la vie moderne et des sentiments intimes; l'épreuve a pourtant été favorable à
Friant, puisqu'il a remporté cette année le premier second grand prix de Rome. On avait puisé
dans Sophocle le sujet du concours, qui était : (Edipc maudissant son fils Polynice. Friant a fait
preuve, en la circonstance, de ce sang-froid dont il possédait déjà le germe quand il était venu
faire, il y a huit ans, sa déclaration de principes à M. Dcvilly. Le plus jeune d'entre tous les
logistes, c'était aussi lui qui avait traité la scène avec le plus de calme; il était resté maître de
lui-même et n'était tombé clans aucune exagération ; il avait bien compris son groupe d'Œdipe
et de Polynice : Œdipe était grand dans sa colère et Polynice gardait sa dignité malgré sa pose
de suppliant.

Je constate ces qualités, mais bien sincèrement je n'applaudis pas entièrement au triomphe
de l'artiste. Que Friant réussisse au Salon, je l'en félicite; mais ses succès dans les concours de
 
Annotationen